25 mars 2020
Pour Gérard Le Puill, auteur d’Halte aux spoliations, lettre au président de la République (Éditions du Croquant, mai 2019), le covid-19 place la France face au risque d’une perte massive d’emploi. Il rappelle dans une contribution ci-dessous, les conséquences des politiques menées ces dernières décennies en France.
De son côté l’OIT pointe des répercussions de trois ordres sur le monde du travail : L’incidence sur le chômage et le sous-emploi dans le monde ainsi que les implications pour les revenus du travail et la pauvreté au travail
Pour l’Organisation internationale du travail (OIT), la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 souligne l’importance de la protection sociale des travailleurs. Selon de premières études, l’OIT estime à 25 millions le nombre d’emplois menacés dans le monde. Mais elle alerte sur la situation immédiate pour les travailleurs précaires dont les activités sont stoppés par les mesures de confinement.
« La pandémie du COVID-19 touche tous les travailleurs d’une manière ou d’une autre, alerte l’OIT. Ceux qui possèdent des contrats précaires ou exercent des formes atypiques d’emploi sont particulièrement atteints car beaucoup d’entre eux n’ont pas accès aux congés maladie, à l’assurance chômage ou à d’autres formes indispensables de protection.
En 2012, la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail, proposait dans ses recommandations que « les pays se doivent de garantir au moins un niveau de base de protection sociale universelle et de s’assurer d’aboutir progressivement à des niveaux appropriés de protection pour le plus grand nombre de personnes et le plus rapidement possible. »
Pour Janine Berg, économiste principale à l’OIT, « La crise engendrée par le COVID-19 constitue un moment opportun pour respecter cette orientation, pour restructurer et reconstruire les systèmes actuellement en vigueur. Il est clair que l’ensemble des travailleurs – quel que soit leur contrat de travail – doivent avoir le droit à la santé, à rester chez eux lorsqu’ils sont malades au lieu de se rendre quand même au travail, et à bénéficier d’aides aux revenus en cas de réduction des horaires ou de la perte d’emploi en raison d’une situation critique. »
Coronavirus : la France face au risque d’une perte massive d’emplois, par Gérard Le Puill.
« Alors que le confinement de la population rendu nécessaire pour contenir l’épidémie du coronavirus risque de durer encore de longues semaines, les ralentissements cumulés des activités dans l’industrie, l’agriculture, le commerce et l’artisanat sont susceptibles de déboucher sur des vagues de licenciements et de longues périodes de chômage partiel. Car l’économie française a été considérablement fragilisée ces dernières décennies par les délocalisations d’activités de toutes sortes dans les pays à bas coûts de main d’œuvre.
Le confinement de la population française à domicile va se prolonger pour une durée qu’il est difficile de prévoir aujourd’hui. Du coup, des millions de salariés, dans des milliers d’entreprises industrielles, dans des centaines de milliers de commerces, de professions agricoles et artisanales vont durablement subir le chômage partiel ou le licenciement en fonction des débouchés qui subsisteront et de la capacité à y faire face. Les entreprises industrielles sous-traitantes sont à la merci de leurs donneurs d’ordres, tandis que les firmes de l’industrie automobile ont arrêté la production. Beaucoup de commerces sont fermés pour une durée indéterminée, sans même parler de l’hôtellerie. Du côté des artisans, le travail chez les particuliers va se faire rare durant de longues semaines. Dans l’agriculture, le recul de la consommation touche déjà des produits comme les salades de serre ainsi que les premières fraises qu’on ne récolte même plus faute de demande dans la grande distribution.
Entre 2006 et 2015, la France a perdu 530.000 emplois productifs. Nous sommes aussi dans un pays où les gouvernements successifs ont, depuis près de 40 ans, beaucoup bricolé, et plus encore depuis 20 ans, des aides compensatoires au patronat pour faire face aux conséquences des délocalisations à grande échelle des emplois industriels et de certains services dans les pays à bas coût de main d’œuvre.
Entre 2006 et 2015, la France a perdu, selon l’INSEE, 530.000 emplois productifs dans l’industrie dont 11.700 dans la seule industrie du pneu, un équipement bien connu de l’industrie automobile. Cette dernière a délocalisé massivement la production des pièces et les usines de montage des voitures. Excédentaire jusqu’au tout début de ce siècle, le commerce extérieur de la France est déficitaire depuis 2003 et ce déficit augmente au fil des ans au point d’atteindre 59 milliards d’euros en 2018. Les délocalisations ont permis aux grandes firmes d’augmenter sensiblement leurs profits. Mais la facture continue d’être payée de différentes manières par le monde du travail à l’intérieur de notre pays pendant que les salariés des pays pauvres se font exploiter de manière éhontée, avec, souvent, une mise en danger de leur santé.
L’effondrement de l’immeuble Rana Plaza dans la banlieue de Dacca au Bengladesh causant la mort de 1.135 personnes dans cette usine textile aux murs inadaptés pour résister aux vibrations des machines date seulement du 24 avril 2013.
Cette usine, aux conditions de travail digne de l’esclavage, fournissait des enseignes bien connues chez nous comme Auchan, Carrefour, Adidas, H&M, Benetton et quelques autres. 30 ans d’allègements de charges patronales et toujours des bas salaires Dès la dernière décennie du XXème siècle, des dispositifs d’allègement des cotisations sur les bas salaires (jusqu’à 1,6 SMIC) ont été mis en place en France comme dans d’autres pays européens à commencer par la Belgique et les Pays Bas. Entre 2003 et 2005, avec François Fillon comme ministre du travail dans le gouvernement Raffarin, les salaires de deux salariés sur trois, dans le privé, étaient concernés par ces allègements pour une valeur annuelle de 20 milliards d’euros.
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2008, la Loi de modernisation économique (LME) a créé le statut d’auto-entrepreneur dans le but évident de précariser l’emploi salarié par une exacerbation de la concurrence sur le territoire national. Aujourd’hui encore, une majorité d’auto-entrepreneurs n’a que 400€ de revenu par mois en moyenne. Beaucoup d’entre eux disparaissent au bout d’un an ou deux. Ce statut d’auto-entrepreneur avait été suggéré par Emmanuel Macron, en sa qualité de rédacteur final du rapport de la Commission Attali demandé par le président Sarkozy dès son élection en 2007.
Sous la présidence de François Hollande, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a été mis en place à partir de 2013. Il s’agissait alors d’un allègement des charges de 4% sur les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Il a été porté à 6% en 2014 et transformé en exonération de cotisation à partir de 2019 avec Macron à l’Elysée. Son coût pour le contribuable serait d’environ de 20.000€ par an par emplois préservé selon certaines études et beaucoup plus selon d’autres. Macron a fait payer une hausse des salaires par les retraités ! Une fois élu président de la République Emmanuel Macron a aussi fait payer à plus de 10 millions de retraités, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG), une misérable augmentation de salaires pour les actifs du privé. Ce transfert de charges a supprimé sur leur feuille paie les cotisations salariales pour la maladie et le chômage. Ce qui faisait une opération blanche pour le patronat, entreprises du CAC 40 comprises !
Faire baisser les droits de douanes aux frontières communes de l’Europe et délocaliser en même temps des centaines de milliers d’emplois dans les pays à bas coûts de main d’œuvre a aussi conduit à renchérir le coût de fonctionnement de la « voiture balai » de la protection sociale minimale du fait de l’augmentation de la pauvreté en France. Il y eut la création du revenu minimum d’insertion (RMI) sous le second septennat de François Mitterrand avec Michel Rocard à Matignon à partir de 1988. Le RMI a été changé, en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour devenir le Revenu de solidarité active (RSA). En 2016, le RSA et la prime pour l’emploi, créée dès 2001 par le gouvernent Jospin, ont fusionné pour déboucher sur la mise en place de la prime d’activité.
Tous ces bricolages nous montrent à quel point la mondialisation capitaliste et ses délocalisations de productions ont coûté cher au pays. L’une des délocalisations les plus médiatisées en France fut celle organisée par la firme Américaine Whirlpool d’Amiens en Pologne en 2017. Du coup, entre les deux tours de l’élection présidentielle, courant derrière par Marine Le Pen sur le site amiénois, Emmanuel Macron vint tenir ces propos aux travailleurs licenciés par Whirlpool : « Je ne suis pas en train de vous dire que je vais sauver vos emplois, parce que personne ne peut le faire dignement. Je serai là pour protéger un plan social qui défend vos intérêts » (1). Une promesse non tenue puisque le patron trouvé par Macron pour réindustrialiser le site a été déclaré en faillite en 2019, sans avoir créé un seul emploi après avoir dilapidé les aides du gouvernement.
Par ailleurs, pour reprendre les propos présidentiels, déléguer notre alimentation à d’autres est une folie. De tels précédents sont autant de signes de la fragilisation de notre économie dans le cadre de la course au profit via les délocalisations sur fond de dumping social, fiscal et environnemental. En France, du coup, la sortie du confinement risque de se traduire par de grosses pertes d’emplois cette année. Quelle sera la politique du président de la République et de son gouvernement pour y faire face dans les prochains mois ?
En attendant de la voir et de la juger aux actes, rappelons ces fortes paroles prononcées par Emmanuel Macron, le 12 mars au soir, lors de sa première allocution consacrée aux conséquences du coronavirus en France : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons reprendre le contrôle, construire plus encore que nous le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai ». Il faudra donc être vigilant dans les prochains mois pour exiger la tenue des engagements pris dans cette allocution présidentielle du 12 mars 2020.«
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