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Droit de retrait dans la fonction publique

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11 mai 2020

Par Hervé Tourniquet, Avocat au Barreau de Paris.

Lire notre avertissement : https://bit.ly/3a2fgEE

Les personnels d’éducation peuvent-ils faire valoir leur droit de retrait lors de la rentrée scolaire du 11/05 (ou 18/05 selon les niveaux) si les conditions sanitaires ne sont pas garanties (notamment dans le cas où le protocole national ne peut être appliqué) ? Le protocole vaut-il comme garde-fou sanitaire ? Quid du CHSCT ? Quelles sont les démarches à effectuer pour appliquer ce droit de retrait ? Peut-il être imposé comme jour de grève ?

Cette question nous permet de faire le point sur un sujet très important au moment où s’annonce le retour des enseignants et personnels de l’éducation nationale et au-delà, de nombre de fonctionnaires et agents publics de droit privé, sur leur lieu de travail.

I/ DES FONDEMENTS TEXTUELS ÉPARS :

Pour la fonction publique d’Etat :

Présent dans le code du travail dès 1982 au bénéfice des lois dites « Lois Auroux », le droit de retrait n’a fait son apparition que tardivement dans la fonction publique d’Etat par un décret n°95-680 du 9 mai 1995 venu modifier le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique.

L’article 5-6 du décret de 1982 dans sa rédaction actuelle précise :

« I. L’agent alerte immédiatement l’autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

L’autorité administrative ne peut demander à l’agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

II. – Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d’eux. 

III. – La faculté ouverte au présent article doit s’exercer de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.»

Décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique Version consolidée au 11 mai 2020

Pour la fonction publique territoriale :

Dans la fonction publique territoriale, le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale modifié par un Décret n°2000-542 du 16 juin 2000 prévoit, en son article 5-1 le même dispositif que celui prévu ci-dessus pour la fonction publique de l’Etat.

Décret n°85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale. Version consolidée au 11 mai 2020.

Pour la fonction publique hospitalière :

Le texte de référence se trouve…dans le code du travail.

En effet, l’article L. 4131-1 du code du travail, rendu applicable aux établissements publics de santé par le  3° de l’article L. 4111-1 du même code  dispose: 

 » Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. « 

Aucun de ces textes ne définit la notion de danger grave et imminent.

Dans un document dit de « questions/réponses » rendu public le 28 février 2020, lors d’une conférence de presse, la ministre du Travail, le ministre de l’Économie et le ministre des Solidarités et de la santé, on peut lire la position gouvernementale explicitée comme suit : « Pour aider les entreprises à faire face au coronavirus, le gouvernement diffuse 22 questions/réponses »

« peut être considéré comme « grave » tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée et comme « imminent », tout danger susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché »

Adaptée à la situation créée par le COVID 19, la position est ainsi précisée :

« Les possibilités de recours à l’exercice du droit de retrait sont « fortement limitées » lorsque l’employeur prend les mesures de prévention et de protection recommandées par le gouvernement :

  • si l’exercice du droit de retrait est manifestement abusif, l’employeur pourra effectuer une retenue sur salaire ; par ailleurs, il pourra, selon le contexte, licencier le salarié pour cause réelle et sérieuse (mais non pas pour faute grave) (« Covid-19 », 28 février 2020, Q/R 21) ;
  • dès lors qu’un employeur suit les recommandations du gouvernement, le salarié ne peut a priori par invoquer le droit de retrait au motif qu’un de ses collègues revient d’une zone à risque ou a été en contact avec une personne contaminée, en l’état des connaissances épidémiologiques à ce jour (« Covid-19 », 28 février 2020, Q/R 8). »

Ces déclarations n’étant pas très éclairantes, il convient de se tourner, comme souvent en matière de droit de la fonction publique, vers la jurisprudence laquelle demeure, en l’état actuelle, restrictive.

2/ UNE JURISPRUDENCE RESTRICTIVE :

En premier lieu, la jurisprudence a dénié à certaines professions ou, à tout le moins, a posé à l’exercice du droit de retrait par ces professions des conditions extrêmement restrictives.

On citera les fonctionnaires de police, les pompiers, les surveillants de prisons et les militaires.

En second lieu, et c’est l’aspect le plus préoccupant, la jurisprudence laisse place à une grande marge d’incertitude et expose l’usager du droit de retrait à une réelle insécurité juridique.

En effet, si les textes ci-dessus confèrent à l’agent public une appréciation propre de la possibilité de se retirer de sa situation de travail lorsqu’il a un motif de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, c’est au juge administratif qu’il appartient au cas par cas d’apprécier si ce motif paraissait raisonnable dans les circonstances de l’espèce…

Et la réponse judiciaire, qui n’intervient par définition qu’a posteriori, est aléatoire.

On relève, par exemple, qu’une simple dégradation des conditions de travail ne constitue pas un danger grave et imminent. (TA Cergy-Pontoise, 28 sept. 2006, n° 0509448)

Il en est de même pour l’agent s’estimant victime de harcèlement moral. (Conseil d’Etat 16 décembre 2009 N° 320840), ou pour un état général d’épuisement professionnel lié à une activité de service de nuit de médecin urgentiste (TA de Rennes, n° 1101547 du 18 décembre 2013).

La réaction de l’employeur public à la situation invoquée de danger doit également être prise en considération

Ainsi l’agression d’un conducteur sur une ligne de bus ne justifie pas l’exercice du droit de retrait par un autre conducteur dès lors que l’employeur a pris immédiatement des mesures pour assurer la sécurité de la ligne (CAA Paris, 26 avril 2001, 99PA35411.)

Il en est de même de l’enquête CHCST lorsqu’elle a conclu à l’absence de tout danger. (Cour administrative d’appel, Nantes, 3e chambre, 20 Septembre 2019 – n° 17NT03330)

En réalité, les décisions du juge administratif validant l’exercice du droit de retrait sont rares.

3/ QUID EN PERIODE DE CRISE SANITAIRE ?

La jurisprudence est peu fournie, ce type de crise n’étant pas fréquent.

Mais on peut tirer quelques enseignements des décisions rendues en ce qui concerne les personnels hospitaliers.

La jurisprudence n’est pas plus souple à leur endroit.

Ainsi, l’exposition à un risque de contamination du virus du sida, ne justifie pas en elle-même l’exercice du droit de retrait. Selon les juges, l’admission, dans un établissement hospitalier, de malades porteurs du virus HIV ou de celui de l’hépatite virale B ne présente pas, par elle-même, le caractère d’un danger grave et imminent dès lors qu’un tel établissement, en raison même de sa mission, doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers. (TA de Versailles, syndicat CGT du personnel de l’hôpital Joffre, n° 872362 du 2 juin 1994)

Il a été jugé également qu’un agent hospitalier de service intérieur, en l’espèce surveillant de nuit au sein d’un établissement public de santé, ne peut fonder son droit de retrait au motif de l’exposition à une possible violence de la part d’un conjoint d’une patiente hospitalisée dans cet établissement. (TA de Paris, M. D, n° 1816092 du 3 mars 2020).

Ou bien encore que la possible contamination de locaux hospitaliers par le bromure d’éthidium, produit hautement toxique, ne justifie pas le droit de retrait, dès lors qu’un processus de décontamination a été engagé par l’employeur (TA Cergy-Pontoise, 6 nov. 2018, n° 1601598, Mme D.)

4/ DOIT-ON, POUR AUTANT, RENONCER AU DROIT DE RETRAIT DANS LA FONCTION PUBLIQUE ?

Même si les jurisprudences ci-dessus ne sont pas très engageantes, il demeure cependant un critère important à prendre en considération : celui de la réaction de l’employeur face au risque.

On observe en effet que, lors que les juges écartent l’exercice du droit de retrait face à un risque pourtant avéré, c’est parce que l’employeur a mis en œuvre les dispositions propres à faire cesser ce risque.

En effet, c’est ce que l’on peut déduire, par a contrario, de l’arrêt rendu le 2 juin 2010 par le Conseil d’Etat et très souvent cité :

« qu’il ressort des pièces du dossier que l’assemblée générale des personnels du lycée Romain Rolland a été informée le 27 janvier 2003 des mesures envisagées pour rétablir la sécurité dans cet établissement scolaire, et qui se sont traduites par une présence policière devant l’établissement une demi-heure lors des entrées et des sorties des élèves et par des rondes régulières aux abords du lycée ; que, dès lors, Mlle A, qui n’allègue pas que le calme n’était pas revenu dans l’établissement le 29 janvier 2003 à la suite de ces mesures, n’est pas fondée à soutenir qu’en estimant qu’elle ne se trouvait pas pour ce jour-là en situation de danger grave et imminent, l’administration a commis une erreur d’appréciation ; que, par suite, l’autorité administrative a procédé à bon droit à une retenue sur son traitement au titre de la journée du 29 janvier 2003 ; » (Conseil d’Etat, Sous-sections 8 et 3 réunies, 2 Juin 2010 – n° 320935)

Ainsi, la Cour administrative d’appel de NANTES a refusé de considérer comme abusif le droit de retrait exercé par un agent qui indiquait, être exposé à des brulures du fait de l’absence de mise à sa disposition de gants adaptés à des travaux de soudures et être en outre exposé à l’inhalation de produits toxiques du fait de l’absence de système d’aération suffisamment efficace. 

La Cour relève :

« qu’il ressort des constatations de l’huissier mandaté le 15 mars 2004 que le salarié, qui occupait le poste de travail MITSUI BP 5 après le refus exprimé par M. X, disposait de gants de type AGN pour l’enrobage et Polar Grip pour le désenrobage ; qu’il ressort des pièces du dossier que le premier type de gant n’était pas utilisé par les salariés en raison de son inadaptation au travail à effectuer ; qu’il n’est pas contesté que la seconde catégorie de gant n’était pas adaptée aux opérations de « désenrobage » ; qu’à supposer, ainsi que l’affirme la SOCIETE MALICHAUD, qu’elle disposait de gants adéquats lorsque M. X a exercé son droit de retrait, l’huissier a constaté, lors de sa visite, que le poste de travail litigieux n’était pas équipé de tels gants et il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’il aurait été équipé de ces gants les 16 et 17 mars 2004 ; qu’enfin, le processus de production sur ce poste de travail nécessitait l’utilisation de produits toxiques justifiant, selon les fiches sécurité des fabricants, outre le port de gants, l’installation d’une hotte aspirante, s’agissant du Cerrobend, et une ventilation renforcée, destinée à limiter les concentrations de vapeur en suspension dans l’air s’agissant du Variocut ; qu’il ressort également de l’instruction que la nécessité d’un système d’aération pour l’évacuation des fumées et vapeurs sur ce poste de travail avait été déjà évoquée au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et faisait partie, à la date des faits reprochés à M. X, des sujets d’étude dudit comité »

(Cour Administrative d’Appel de Nantes 6 décembre 2007 – N° 06NT01656)

En d’autres termes, tout le débat portera sur l’existence et l’efficacité des mesures de prévention prises par l’employeur public et de sa réactivité aux préconisations.

Si ces mesures sont inexistantes ou insuffisantes, le droit de retrait pourra être considéré comme légitime.

Il pourrait aussi en être de même si l’administration, après avoir édicté un protocole sanitaire, ne fournissait pas les moyens de le respecter et vous aurez, dans ce cas, tout intérêt à vous ménager des moyens de preuve.

En effet, l’administration aura naturellement tendance à arguer de ce que le respect du protocole sanitaire suffit à garantir la sécurité de ses agents. Encore faut-il qu’elle crée les conditions pour que ce protocole soit respecté.

A cet égard, le travail du CHSCT apparaît évidemment essentiel.

5/ COMMENT EXERCER LE DROIT DE RETRAIT ?

Le mode opératoire peut être synthétisé comme suit :

L’agent qui se trouve dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent en alerte immédiatement son chef de service et peut se retirer d’une telle situation.

On privilégiera l’alerte écrite et, sil elle est impossible, on veillera à la présence d’un témoin de l’alerte orale.

L’agent peut aussi (et on ne peut que le conseiller) informer un représentant du personnel au CHSCT qui en alerte immédiatement le chef de service et consigne l’événement dans un registre spécial tenu, sous la responsabilité du chef de service, et à la disposition des membres du CHSCT, de l’inspection du travail et des inspecteurs santé et sécurité au travail.

Tout avis figurant sur ce registre doit être daté et signé et comporter l’indication des postes de travail concernés, la nature du danger et sa cause, le nom de la ou des personnes exposées, les mesures prises par le chef de service pour y remédier.

Le chef de service procède immédiatement à une enquête, s’il y a lieu avec le représentant du CHSCT qui lui a signalé le danger. Il doit prendre les dispositions nécessaires pour y remédier et informer le CHSCT des décisions prises.

En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le CHSCT est réuni dans les 24 heures. L’inspecteur du travail est informé de cette réunion et peut y assister.

L’administration décide des mesures à prendre après avis du CHSCT. En cas de désaccord entre l’administration et le CHSCT, l’inspecteur du travail est obligatoirement saisi.

6/ QUEL RISQUE EN CAS DE DROIT DE RETRAIT NON JUSTIFIE ? :

Si le droit de retrait est exercé de manière isolée, l’agent dont l’exercice de ce droit est jugé injustifié s’expose à un retrait sur traitement pour service non fait et peut également encourir une sanction pour abandon de poste. 

Si le droit de retrait est exercé dans le cadre d’une action collective et n’est pas considéré comme justifié, il sera regardé comme une grève illicite et donnera lieu à retrait sur traitement pour service non fait et à sanction.

Il a ainsi été jugé qu’est une grève illégale l’arrêt de travail décidé par des enseignants d’un lycée professionnel après avoir alerté en vain le recteur « de faits graves et d’incidents propres à mettre en cause la sécurité des élèves et des personnels dans les ateliers de l’établissement scolaire ». Selon les juges (Tribunal administratif Cergy-Pontoise, 16 juin 2005, n° 0106154, Moreau c/ recteur académie Versailles)

Un dernier point toutefois, doit être signalé.

L’on peut en effet se trouver dans une situation où le droit de retrait est jugé non justifié par le juge administratif mais où, pour autant, il est constaté que l’administration, avant de prendre enfin les mesures nécessaires, a, par son inertie ou son incurie, exposé ses agents à une situation dangereuse et n’a pas mis en œuvre les mesures propres à assurer leur protection, ce qui constitue une carence fautive de l’Etat

Le juge peut, dans ce cas, indemniser les agents de ce préjudice.

C’est ce qu’ont obtenu, en juillet 2012, 18 enseignants du lycée CHERIOUX de VITRY SUR SEINE, dans le Val de Marne, qui avaient cessé le travail pendant deux semaines et s’étaient prévalu du droit de retrait à la suite de l’agression au couteau d’un élève, dans l’enceinte de l’établissement, par une personne extérieure audit établissement. (TA MELUN 13 juillet 2012 – N° 1004146) (Jugement annexé.)

l’Humanité avait commenté cette décision à l’époque.

Cette voie, parallèle, pourrait être utilisée par les agents qui, des semaines durant, ont été exposés à un risque sanitaire avéré avant que n’interviennent les premières et véritables mesures de protection et de prévention.

Lire aussi un jugement du Tribunal administratif de Melun

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