5 mars 2020
La chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé ce mercredi 4 mars, une décision de la Cour d’appel de Paris de janvier 2019 en jugeant que « le contrat de partenariat signé par un chauffeur avec la société Uber s’analyse en un contrat de travail ». Une première en France qui pourrait faire bouger les lignes dans le débat sur le statut des travailleurs des plateformes.
La Cour de cassation a validé mercredi la requalification en contrat de travail du lien entre Uber et un de ses anciens chauffeurs. Ainsi, La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire rejette le pourvoi formé par Uber. Elle estime que le lien de subordination entre le chauffeur et Uber est caractérisé lors de la connexion à la plateforme et que le conducteur ne doit donc pas être considéré comme un travailleur indépendant mais comme un salarié.
Les chauffeurs VTC qui le souhaitent peuvent désormais demander à Uber de bénéficier de cette jurisprudence.
« Le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport », résume la Cour de cassation dans un communiqué. Elle enfonce le clou en précisant que « le fait que le chauffeur n’ait pas l’obligation de se connecter » et ne s’expose à aucune sanction en ne se connectant pas, « n’entre pas en compte ».
Statut fictif
Le statut de travailleur indépendant de ce chauffeur, actif sur la plateforme Uber quelques mois de 2016 et 2017, était « fictif », conclut la Cour. Dans l’Hexagone, Uber recense 150 cas de chauffeurs ayant lancé une procédure dans le but de faire requalifier leur contrat de prestations de service en contrat de travail ou déclaré vouloir le faire, soit 0,2% des chauffeurs passés ou actuels de la plateforme.
Pour Maître Fabien Masson, l’avocat de Monsieur Petrovic, le premier chauffeur VTC ayant obtenu la requalification de sa relation de travail avec une plateforme VTC en contrat de travail, cette décision confirme l’application à Uber, et plus largement aux plateformes, des critères traditionnels du contrat de travail (direction, contrôle, sanction), Uber s’étant comporté comme le véritable employeur des chauffeurs, lesquels ne sont pas en réalité des travailleurs indépendants.
Désormais, chaque chauffeur VTC qui travaille pour une ou plusieurs plateformes VTC pourra se prévaloir de cette décision de principe pour s’il le souhaite, solliciter du juge la requalification de sa propre relation de travail en contrat de travail et bénéficier des droits qui s’attachent à tous salariés (respect de la durée légale du travail, heures supplémentaires, salaire minimum, congés payés, formation professionnelle, retraite, droit à une représentation du personnel, droit au chômage en cas de rupture du contrat de travail, etc…).
Selon Maître Fabien Masson, plus globalement, « le modèle social du travail dans l’économie collaborative qui concerne principalement les jeunes générations devra trouver sa place dans la législation française. Il est nécessaire que le législateur se saisisse de la question et offre un cadre juridique répondant à la fois au modèle social français, à la nécessité de protéger des travailleurs qui sont souvent les plus démunis, mais également aux nouvelles aspirations de l’économie collaborative. »
« C’est exceptionnel », a salué son confrère Kevin Mention, qui suit une dizaine de dossiers de chauffeurs Uber. La décision « va beaucoup plus loin que l’arrêt Take Eat Easy » et « la Cour de cassation a voulu frapper fort ». Cette dernière avait déjà établi en novembre 2018, pour la première fois, un lien de subordination entre une plateforme et un de ses travailleurs. Il s’agissait de Take Eat Easy, une société de livraison de repas par des coursiers à vélo qui avait été liquidée.
« Les plateformes, si elles ne changent pas leur modèle aujourd’hui, vont droit dans le mur car c’est la requalification assurée », avertit Me Mention.
Début février, Deliveroo a été condamnée par un juge départiteur du conseil des prud’hommes de Paris pour travail dissimulé, à la suite de la requalification du contrat d’un de ses coursiers.
Plus largement, le statut d’indépendant des travailleurs des plateformes est contesté dans de nombreux pays, même aux Etats-Unis. Uber a ainsi porté plainte contre une loi californienne visant à le contraindre à requalifier les conducteurs de VTC en salariés.
Travailleurs des plateformes: le gouvernement annonce des propositions « d’ici l’été »
La ministre du Travail Muriel Pénicaud a annoncé jeudi le lancement d’une mission sur le statut des travailleurs des plateformes et des « propositions d’ici l’été », au lendemain d’une décision historique de la Cour de cassation contre Uber.
« La Cour de cassation juge en droit », a réagi Muriel Pénicaud jeudi à l’antenne d’Europe 1. « Ce qu’elle dit c’est qu’aujourd’hui, dans le droit du travail, soit on est un salarié, soit on est un travailleur indépendant ». Or, « on a une zone de flou parce que la grande majorité des travailleurs des plateformes veulent être indépendants, veulent la liberté mais veulent à juste titre aussi avoir des protections », a affirmé Mme Pénicaud.
« Il faut inventer des règles qui permettent la liberté et la protection (…), tout en donnant un cadre qui est clair pour les plateformes », a-t-elle estimé, en annonçant le lancement avec le ministre de l’Économie Bruno Le Maire d’une « mission pour que d’ici l’été on ait des propositions sur ce sujet ». »
« En attendant », la décision de la Cour de cassation « fait jurisprudence« , a indiqué la ministre. (AFP).