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Le nucléaire par ceux qui le font

Un livre sur l’électronucléaire, largement nourri de témoignages de salariés de l’ensemble de la filière, a paru en février dernier aux éditions Arcane 17. Paroles de salariés… Par Nicolas Chevassus

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Les deux co-auteurs de ce livre ont un point commun. L’un, Sébastien Menesplier, est secrétaire général de la FNME-CGT et François Duteil l’a précédé à ce poste il y a quarante ans. A noter que ce dernier préside aujourd’hui l’Institut d’histoire sociale mines-énergie. Deux dirigeants syndicaux de premier plan prennent donc la plume pour argumenter en faveur de l’électronucléaire.

L’ambiance générale du débat public sur la question évolue à grande vitesse. Dans la course à l’élection présidentielle, la quasi-totalité des candidats, à l’exception de Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, se sont prononcés en faveur d’une relance de la construction de réacteurs nucléaires en France, pour renouveler le parc construit pour l’essentiel dans les années 1970 et 1980. Le principe de la construction de six nouvelles tranches nucléaires, de modèle EPR2, est acquis, même si les décisions définitives se font toujours attendre. « En pleine campagne présidentielle, au moment où le politique tergiverse pour relancer la construction de nouveaux outils de production d’électricité nucléaire et dans un contexte où la commission européenne interroge les États membres pour accorder au nucléaire la reconnaissance d’un « label vert », il me paraît nécessaire d’opposer un point de vue syndical aux arguments antinucléaires. Des arguments qui masquent délibérément la différence fondamentale entre une production d’électricité pilotable par l’industrie du nucléaire et hydraulique indispensable à la sûreté des réseaux, versus une production d’électricité intermittente par les lobbys du renouvelable qui même si elle a sa place dans le mix énergétique, ne pourra pas suffire aux besoins de la nation, compte-tenu des verrous technologiques et des coûts de production » écrit Sébastien Menesplier en introduction.

La prise de conscience de la gravité du réchauffement climatique en cours a permis cette évolution du débat public. Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat a souligné à maintes reprises que le nucléaire faisait partie de la solution, en tant que mode de production d’électricité le moins émetteur de carbone, à quasi-égalité avec les éoliennes, mais sans leur intermittence. Une autre prise de conscience, plus récente encore, est aussi passée par là. Celle que la consommation électrique va augmenter pour permettre l’indispensable décarbonation de l’économie. Les trois scénarios de l’étude Futurs énergétiques 2050, rendue publique par RTE en octobre dernier, sont d’accord sur ce point.  « Le système électrique français devra se mettre en situation de soutenir une augmentation de la demande électrique très probable dès lors que s’engagent les transformations nécessaires à la neutralité carbone, et ce même dans le cas où des gains importants sur l’efficacité énergétique ou la sobriété seraient au rendez-vous ». Or, pour faire face à ces besoins nouveaux dans des délais très brefs, le nucléaire apparaît le mieux placé.

Le nucléaire par ceux qui le font est à la fois un plaidoyer en faveur de l’électro-nucléaire et une réponse à ses détracteurs. Les quatre premiers chapitres déroulent un argumentaire pour la relance du nucléaire au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, de la nécessité de bénéficier d’une énergie pilotable et non intermittente dans le mix électrique, de la réindustrialisation du pays, et enfin de la souveraineté nationale. Les quatre suivants répondent à des critiques souvent entendues. Non, le nucléaire n’est pas un danger sanitaire pour les populations. Non, les déchets radioactifs ne s’accumulent pas sans fin, mais sont au contraire sur le point de trouver une solution durable, et pionnière en Europe, avec le site de stockage profond Cigéo piloté par l’Andra. Non, les accidents ne sont pas, à condition que se maintienne une culture de sûreté du plus haut niveau, une épée de Damoclès permanente. Et non, enfin, le nucléaire n’est pas un gouffre économique mais au contraire un investissement très rentable à long terme pour la collectivité… mais parfaitement incompatible avec la courte vue du capitalisme mondialisé.

La grande originalité de ce livre est de donner la parole, sur de longs entretiens menés par l’auteur de ces lignes, avec des salariés de la filière nucléaire de toutes les entreprises (Orano, Framatome, EDF, CEA, Andra, sans oublier les sous-traitants d’EDF) et de tous les métiers (robinetier, ingénieur, acheteur, magasinier, pilote de tranche, acheteur, spécialiste de radioprotection, cadre supérieur, etc.). Tous s’expriment avec une grande honnêteté sur leur métier, qui le plus souvent les passionnent, mais sans en masquer les difficultés en particulier la place croissante de la sous-traitance dans la maintenance des centrales. Citons par exemple Gilles Noirez technicien en métrologie à Orano, à propos de l’exposition à la radioactivité. « On prend régulièrement sa dose. On le sait, on fait avec. La norme sanitaire est de 20 millisieverts par an. L’entreprise est organisée pour que l’on reçoive deux fois moins. Mais il arrive que, du fait du vieillissement de l’usine, on reçoive plus. (…) Cette question de la dose de radioactivité reçue est extrêmement importante pour la santé des salariés. Mais aussi pour la bonne marche de l’usine. Aujourd’hui, les salariés qui seraient les meilleurs formateurs sont souvent les plus dosés : ils ne peuvent plus être exposés à la radioactivité, ce qui les empêche de former dans l’usine de jeunes collègues. La diminution de la culture de la sûreté dans nos usines est clairement liée à la réduction de la formation des salariés, ainsi qu’un turn-over très important avec des équipes gréées au minimum ».

Comme l’écrit François Duteil en conclusion, « Les électriciens, femmes et hommes, du nucléaire savent par expérience que toute possibilité technique n’est pas en soi un progrès, qu’elle le devient si on sait la maîtriser. C’est dire le besoin de droits nouveaux dans l’exercice de leur métier. (…) A chaque fois qu’un problème technique est apparu, nous sommes intervenus pour le renforcement des droits collectifs et individuels des salariés, notamment par l’intermédiaire des CHS-CT. Les électriciens ont su également travailler en équipe, ouvriers, ingénieurs, chercheurs. Ils savent par leur activité que le nucléaire, c’est une œuvre collective. Ils ont appris que les scientifiques ont un rôle social qui dépend de leur environnement. Hier, et toujours, le nucléaire a montré qu’il avait toute sa place dans la réponse aux besoins et la maîtrise nationale de l’énergie. Aujourd’hui, la question à l’ordre du jour, ce n’est pas son arrêt, mais sa contribution à la décarbonisation ».

Le nucléaire par ceux qui le font est une contribution indispensable à tout débat éclairé sur notre avenir énergétique.

« Le nucléaire par ceux qui le font. Paroles de salariés » de Sébastien Menesplier et François Duteil, éditions Arcane 17, février 2022, 12 euros.


Photo Clément Savel

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