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Les conditions d’un télétravail durable, porteur de performance pour les entreprises et de bien être pour les salariés

Par Suzy Canivenc, Enseignante-Chercheure en Management & Communication – Docteure en Sciences de l’Information et de la Communication, spécialisée en communication organisationnelle – Chercheure associée à la Chaire « Futurs de l’industrie et du travail – Formation, innovation, territoires » de Mines ParisTech – PSL.

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Après de nombreux mois à expérimenter massivement le télétravail dans les entreprises françaises, une nouvelle page se tourne : place désormais à l’organisation du travail hybride dont les modalités restent à inventer. Pour autant, avons-nous pris le temps de tirer tous les enseignements de ce « télétravail sanitaire » ?

La Journée Mondiale de la Qualité, consacrée cette année à «  la qualité de vie au travail : entre le bien être des collaborateurs et la performance économique de l’entreprise » et qui s’est tenu à Tunis le 11 novembre 2021, a permis de revenir sur l’expérience inédite du télétravail de confinement pour mieux imaginer les contours d’un télétravail durable, tant pour la performance des entreprises que pour le bien-être des salariés.

Les constats opérés ici se basent sur le travail de recherche mené par la Chaire FIT² (« Futurs de l’Industrie et du Travail – Formation, Innovation, territoires », Mines-ParisTech PSL)  qui a donné lieu à la publication de l’ouvrage Le travail à distance dessine-t-il le futur du travail ? (Presses des Mines, Collection Les notes de la fabrique). Ce travail de recherche s’est appuyé sur l’audition de divers experts (sociologue, managers, directeurs de projet, responsables de transformation organisationnelle, aménageurs d’espaces) ainsi qu’une large revue de littérature académique, institutionnelle et statistique. Ce programme de recherche a ainsi permis de synthétiser les nombreuses recherches déjà menées sur le télétravail en les confrontant aux multiples enquêtes et sondages réalisées pendant la crise sanitaire afin de donner sens à ce phénomène de massification du télétravail en « full remote »(1) qui était jusqu’ici assez rare en France. 

Il est ainsi nécessaire de rappeler en préambule que le « télétravail sanitaire » n’a rien à voir avec une pratique « normale » du télétravail : ce dernier doit légalement faire l’objet d’un double volontariat (tant de l’employeur que de l’employé). Au contraire, durant la crise sanitaire, le télétravail a été une pratique contrainte par des prescriptions gouvernementales (justifiées par la situation pandémique exceptionnelle que nous vivions). De plus, par le passé, le télétravail s’exerçait de manière pendulaire ou intermittente (avec une partie sur site et une partie en distanciel). Mais dans le cadre du « télétravail sanitaire », il s’est déroulé pendant certains mois à 100 % au domicile. 

Si les conditions d’un télétravail de qualité n’étaient clairement pas réunies, cette expérience en mode dégradé permet cependant d’esquisser en contre-point les éléments nécessaires à un télétravail porteur de valeur, autant pour les entreprises que pour les salariés. 

1. Les risques du télétravail

1.1. Les risques psycho-sociaux

Le surtravail : Le télétravail est tout d’abord connu pour ses effets sur l’allongement de la journée de travail : le temps économisé dans les transports est en grande partie reporté sur l’activité professionnelle et les pauses se font à la fois plus rares et plus courtes(2). Ce phénomène était déjà connu avant la crise est s’expliquait alors par la théorie de « l’échange social » : avant 2020, le télétravail était considéré comme un privilège induisant chez les salariés un sentiment de « redevabilité » qui se traduisait par davantage d’efforts pour s’acquitter de leur « dette »(3). Ainsi, « l’autorisation de télétravailler donnée au collaborateur génère une performance accrue en réciprocité », les conduisant à « accroître d’eux-même leur charge de travail »(4).

L’allongement des journées de travail a cependant atteint des sommets lors de la crise sanitaire alors même que le télétravail n’était plus une faveur mais une contrainte imposée. Une étude(5) conduite par des chercheurs de Harvard et de la New York University a analysé les e-mails et agendas professionnels partagés de 3,1 millions d’employés aux États-Unis, en Europe et au Moyen-Orient sur une période de seize semaines, dont celles du confinement : elle a révélé qu’avec la crise sanitaire le temps d’activité a augmenté de 48,5 minutes par jour, soit environ 4 heures par semaine. Ce constat invaliderait donc en partie la théorie de « l’échange social » : d’autres raisons, que nous sommes encore loin de comprendre totalement, conduisent les télétravailleurs à surtravailler, incitant à accorder une vigilance accrue à ce phénomène dans le cadre d’une démocratisation du télétravail. 

Ce phénomène pose en effet particulièrement problème au niveau légal, notamment en ce qui concerne le « droit à la déconnexion », cette spécificité du droit français qui a pour seul mérite d’être inscrite dans le code du travail mais très peu dans les pratiques. C’est un enjeu crucial car les faits montrent que les salariés ont de réelles difficultés à se déconnecter, du travail comme de leurs outils numériques professionnels. L’allongement des journées de travail occasionné par le télétravail pose plus globalement la question du respect des temps de travail et de pause que l’employeur doit légalement faire respecter. 

Le sentiment d’isolement : Un second risque psycho-social, qui a été régulièrement pointé pendant la crise sanitaire, est relatif à l’isolement des individus et au sentiment de solitude qui en découle. 

Ici encore, on trouve trace de ce phénomène avant la crise sanitaire. En situation de « télétravail normal », ce sentiment d’isolement est surtout ressenti envers la sphère professionnelle : les télétravailleurs craignent d’être mis à l’écart et de ne pas avoir accès aux mêmes possibilités de formation et de promotion que leur collègues en présentiel(6). Un ressenti qui a encore été récemment confirmé par deux enquêtes menées en août 2021 : l’une(7) révèle que 85 % des salariés craignaient que le télétravail ait un impact négatif sur leur carrière, l’autre(8) que 32 % des cadres dirigeants s’inquiétaient de l’apparition d’un « biais de proximité » chez les managers. 

Ce phénomène a cependant pris une autre tournure pendant la crise sanitaire en impactant cette fois-ci les relations professionnelles entre collègues de travail mais également l’ensemble de la sphère sociale puisque toutes les activités relationnelles – qu’elles soient familiales, amicales, culturelles ou sportives – étaient en sommeil. 

Les risques de surtravail et d’isolement ont ainsi tous deux étaient largement exacerbés par la crise sanitaire et ont engendré une explosion des risques psycho-sociaux: au terme du premier confinement, 66 % des DRH français constataient qu’ils étaient en augmentation(9). Durant le second confinement, 65 % des salariés français se déclaraient fatigués, inquiets, stressés ou surmenés(10).

La crise sanitaire aura particulièrement mis en évidence trois catégories de population fragilisées par la pratique du télétravail :

  • Les femmes, qui restent responsables de la majeure parte des tâches domestiques et pour qui l’enfermement à domicile est loin d’être perçu comme une source d’épanouissement. Le télétravail peinera donc à être porteur de plus-value pour cette catégorie s’il continue à reconduire les rôles genrés
  • Les jeunes qui ont particulièrement mal vécu le télétravail confiné à un âge où les contacts sociaux sont les plus développés et où les faibles moyens financiers ne permettent pas d’avoir une logement et un équipement adaptés à cette pratique. Par ailleurs, n’étant pas encore autonomes sur leurs tâches, ils ont besoin d’être fortement accompagnés en début de carrière pour apprendre les ficelles du métier mais aussi les codes tacites de leur entreprise
  • Les managers enfin, qui ont été en première ligne pour gérer le passage brutal au télétravail tout en assurant le maintien de l’activité de travail et qui ont été peu accompagnés pour relever ce défi(11). Les risques psycho-sociaux vont d’ailleurs perdurer pour cette catégorie qui doit désormais organiser le travail hybride dont les modalités restent totalement inconnues.

Mais au-delà des risques psycho-sociaux, le télétravail peut également être porteur de risques importants pour les salariés en termes de santé physique.

1.2. Les risques physiques :

Les troubles liés à l’ergonomie des postes de travail. Le premier élément en cause concerne l’ergonomie des postes de travail, qui n’a clairement pas été au rendez-vous durant la crise sanitaire du fait du manque de préparation et de la précipitation dans laquelle s’est déployée le télétravail. Selon une étude(12), seuls 50 % des télétravailleurs ont bénéficié d’un bon poste de travail à domicile, 21 % admettant travailler depuis la table à manger de leur cuisine, 12% depuis le canapé de leur salon et 4% depuis le lit de leur chambre. Et les 65 % de français qui ont souhaité s’équiper correctement en matériel et mobilier ont dû le faire sur leurs deniers personnels pour une moyenne de 974€ !  

Dans ces conditions, les troubles physiques liés à l’activité professionnelle se sont aggravés : fatigue oculaire lié au travail sur écran pour 41 % mais également douleurs au dos (39 %) et raideurs dans la nuque (22%) souvent à l’origine de maux de tête (31 %)(13). Les ostéopathes et kinésithérapeutes ont ainsi constaté une explosion des consultations. Il est ici important de rappeler que l’entreprise a une responsabilité légale en terme de santé et de sécurité au travail, quel que soit le lieu où il s’effectue. 

La sédentarité. Il existe un second enjeu en terme de santé physique mais qui relève cette fois-ci plutôt de la responsabilité des salariés : la sédentarité. Ici encore, la crise sanitaire a largement aggravé le phénomène avec l’arrêt de nombreux déplacements et la fermeture des salles de sport. Une enquête de l’ONAPS (Observatoire nationale de l’activité physique et de la sédentarité) souligne ainsi que pendant le premier confinement 25 % des adultes ont augmenté leur temps passé assis et 41 % ont augmenté leur temps passé devant les écrans. Avec en ligne de mire de potentiels effets désastreux à venir puisque la sédentarité « multiplie par deux le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et d’obésité »(14).

En télétravail, les entreprises comme les pouvoirs publics doivent encourager les salariés à adopter de bonnes pratiques en matière d’hygiène de vie : faire des pauses régulières pour s’étirer, bouger, s’aérer ; pratiquer une activité physique assidue ; adopter une alimentation saine, etc. Sans pour autant que les entreprises ne s’immiscent plus que nécessaire dans la vie privée des salariés. 

Comme on le voit, le télétravail est porteur de multiples risques qui ont été largement aggravés par la crise sanitaire contraignant de nombreux salariés à basculer en 100 % distanciel sans aucune préparation. Cette pratique peut cependant être tout autant porteuse de multiples bienfaits, tant pour le salarié que pour l’entreprise, lorsqu’elle est choisie et intermittente.

2. Les bienfaits du télétravail choisi et intermittent

2.1. La qualité de vie au travail

Le premier impact positif du télétravail souligné par les salariés concerne l’arrêt des trajets domicile-travail(15). Les transports pendulaires sont en effet générateurs de perte de temps et de stress. Autant de problèmes qui s’évanouissent avec le télétravail à domicile.

Cet effet bénéfique s’accroît lorsque le salarié peut bénéficier d’horaires flexibles alliés à un management orienté sur les résultats plutôt qu’un micro-management sur les tâches : il peut ainsi s’absenter en dehors des plages de disponibilité obligatoire pour se rendre chez le médecin, faire ses courses ou encore aller chercher ses enfants à l’école. En contre-point, il peut également réserver les horaires où il se sent le plus productif aux tâches nécessitant une forte concentration individuelle. 

Cette forme d’organisation du travail procure ainsi un sentiment d’auto-contrôle sur son temps mais aussi sur ses méthodes de travail : certains préféreront s’atteler aux tâches les plus difficiles en matinée là où d’autres privilégieront le travail en soirée lorsque les enfants sont couchés et les outils de communication numérique en veille. 

Le télétravail accroît ainsi « le sentiment d’autonomie, la motivation au travail, l’implication organisationnelle et la satisfaction professionnelle »(16). Autant de facteurs agissant sur la qualité de vie au travail et qui peuvent se traduire par « un taux d’absentéisme, des niveaux d’intention de départ et un taux de turnover plus faibles »(17). Ces effets bénéfiques ne peuvent cependant se déployer que lorsque la pratique du télétravail est choisie, et non subie comme elle l’a été pendant la crise sanitaire.

2.2. Qualité du travail et productivité 

Le deuxième impact positif cité par les télétravailleurs est l’impression d’efficacité(18). Lorsque la constitution du foyer s’y prête et que les salariés bénéficient de bonnes conditions matérielles (avec un espace de travail dédié et isolé), le télétravail à domicile permet de bénéficier d’un environnement de travail calme et se révèle donc propice aux tâches de concentration individuelle profonde, souvent perturbées sur site par le bruit ambiant des open spaces et les micro-interruptions des collègues. En période normale, une journée en télétravail est ainsi une véritable « parenthèse permettant de mieux travailleurs, plus vite, plus sereinement, au calme, loin des conflits et du bruit. Le collaborateur se sent plus efficace et plus productif »(19)

L’allongement du temps de travail occasionné par le télétravail allié à la concentration profonde qu’il permet devrait logiquement avoir un impact positif sur la performance des entreprises. L’incidence du télétravail sur la productivité reste cependant un grand sujet de débat. 

Jusqu’à l’expérience vécue pendant la pandémie, les dirigeants voyaient plutôt une corrélation négative entre ces deux facteurs, assimilant davantage le télétravail à la télé qu’au travail…La crise sanitaire a aidé à réduire ces préjugés, en révélant au passage le phénomène inquiétant du surtravail. Mais si les éventuels gains de productivité permis par le télétravail reposent exclusivement sur le surinvestissement des salariés, il ne peut être durable(20).

Du point de vue des études menées antérieurement à la crise, les résultats étaient contradictoires et s’étalaient de -20 %(21) à +30 %(22) de productivité, invitant à la plus grande prudence. 

Une étude(23) menée à cheval sur une période normale et le premier confinement montre que si le temps de travail a bien explosé (+30% dont une majorité hors des horaires de bureau normaux), la production, elle, est restée stable, révélant au final une baisse de productivité de -20 %. Autrement dit, les salariés se sont surpassés pour atteindre les mêmes résultats qu’en période normale. Pour expliquer ce phénomène, les auteurs pointent  l’explosion du temps de réunion en visioconférence au détriment précisément de ces fameuses tâches de concentration profonde. 

Cette étude nous révèle finalement un des écueils principaux du « télétravail sanitaire » : les entreprises se sont souvent contentées de reproduire dans le monde virtuel les pratiques propres au travail sur site, notamment avec des tunnels de visios censés reproduire les échanges en face-à-face mais qui se sont révélés éreintants comme le montre bien le phénomène de « zoom fatigue »(24). Pour être porteur d’effets bénéfiques, le télétravail doit donc s’accompagner de nouvelles routines qui incitent à réfléchir en profondeur aux process organisationnels et communicationnels.

Un autre écueil propre au télétravail sanitaire est qu’il s’est pratiqué à 100 %. Or, le télétravail le plus performant et celui qui s’effectue de manière intermittente. C’est ce que montre un rapport de l’OCDE(25) soulignant que la productivité est meilleure lorsque le travail ne s’effectue ni à 100 % sur site ni à 100 % à distance : c’est la fameuse courbe en U inversée où la productivité croît avec la proportion de temps de télétravail puis décroît à partir d’un certain seuil qui varie selon les secteurs et les professions.

De ce fait, un consensus semble progressivement apparaître sur une base de 2 à 3 jours de télétravail par semaine. Les formules peuvent cependant être variées : nombre de jours par semaine, mois, semestre, année ; qui peuvent par ailleurs être fixes ou flottants. Il n’y a donc pas de recette magique en la matière et c’est à chaque entreprise de trouver le bon curseur en fonction de ses spécificités : secteur d’activités et réalités de son métier, stratégie et culture d’entreprise mais aussi aspirations des salariés. 

Après avoir expérimenté le 100 % sur site pendant des décennies, puis la le 100 % à distance dans un contexte particulier exacerbant les risques dont le télétravail est porteur, reste à stabiliser ce travail hybride qui n’en est encore qu’à ses débuts.

Pour être générateur de qualité de vie au travail et de performance, le télétravail doit donc être choisi et intermittent, deux conditions qui n’étaient pas au rendez-vous pendant la crise sanitaire. Mais une fois ce régime normal retrouvé, il reste encore beaucoup d’autres conditions à réunir pour faire advenir un télétravail de qualité, efficace et durable. 

3. Les conditions d’un télétravail de qualité

3.1. Définir les modalités du télétravail à partir d’un dialogue de terrain

Pour parvenir à trouver la formule hybride la mieux adaptée à son entreprise, nous proposons dans notre ouvrage de partir d’un dialogue professionnel entre managers et salariés dont l’un des enjeux sera de définir les tâches éligibles à cette forme particulière d’organisation du travail. On peut ici distinguer trois types de tâches :

  • celles qui doivent impérativement se faire sur site, parce qu’elles nécessitent d’accéder à un certain type de matériel ou d’équipement qui ne sont disponibles qu’au sein de l’entreprise
  • celles qui peuvent être faites à distance mais dont la crise nous a révélé qu’elles se révèlent plus efficaces sur site, par exemple les activités qui impliquent une collaboration forte entre collègues
  • celles qui se révèlent effectivement plus efficaces à distance, comme les tâches nécessitant de la concentration individuelle

Ce dialogue de terrain recouvre également un enjeu sociétal plus large : celui de démocratiser l’accès au télétravail pour éviter de renforcer les fractures sociales existantes, notamment entre clos bleus et cols blancs. La crise sanitaire a en effet révélé qu’une partie des activités que l’on pensait jusqu’ici inéligibles au télétravail pouvait parfaitement se faire à distance. Tel est le cas de l’agent de maintenance qui doit effectivement être sur site pour entretenir ou réparer les équipements mais qui peut parfaitement gérer son stock de pièces, passer ses commandes ou planifier ses interventions depuis l’ordinateur de son domicile. 

3.2. Structurer les process organisationnels et communicationnels

Comme nous l’avons évoqué, le télétravail est aussi une occasion d’optimiser les process communicationnels et organisationnels. Trop d’entreprises continuent de penser que la communication synchrone (en présentiel ou en visio) est le seul gage d’une collaboration efficace et d’une bonne coordination, alors même que l’usage du mail asynchrone prédominait déjà avant la crise(26). Cette représentation caricaturale prive les entreprises de tenter des expérimentations audacieuse sur de nouveaux processus de travail.

Dans notre ouvrage nous proposons deux pistes inspirées des entreprises en full remote qui ont particulièrement pensé ses questions :

  • le développement d’une culture de l’écrit qui évite l’ambiguïté de l’oral et incite à structurer les process en les documentant, ce qui oblige à les penser et à les formaliser. Il est cependant ici important de ne pas figer ces processus au travers d’une documentation rigide : l’un comme l’autre doivent rester flexibles pour s’adapter aux aléas ainsi qu’aux évolutions internes et externes de l’entreprise pour lui permettre de rester « agile »
  • le développement d’une communication asynchrone, c’est-à-dire en temps différé, pour pouvoir tirer pleinement partie du sentiment d’autonomie que procure le télétravail. 

3.3. L’accompagnement des managers

Cette structuration des process passe également par un accompagnement des managers qui doivent évoluer dans leur rôle. Les effets bénéfiques du télétravail sont très dépendants d’un management basé sur la confiance et le contrôle des résultats plutôt que sur la méfiance et le micro-contrôle des tâches. Ce type de management passe par quelques bonnes pratiques qui participent directement à structurer l’organisation du travail :

  • évaluer précisément de la charge de travail qu’impliquent les tâches 
  • répartir clairement ces tâches au sein des équipes de travail
  • fixer des objectifs individuels et collectifs précis, évalués selon des indicateurs de performance pertinents et compris de tous
  • faire des feedbacks réguliers et stimulants permettant aussi de rester à l’écoute des salariés et d’adapter les objectifs en conséquence

Le management surplombant doit ainsi laisser la place à un management de soutien(27), dans une double acceptation :

  • le soutien professionnel, en clarifiant un maximum d’informations et en donnant les ressources nécessaires pour que le salarié et son équipe puissent être en mesure de s’auto-organiser
  • le soutien psycho-affectif, qui passe par l’écoute, l’empathie, l’ouverture d’esprit, la bienveillance et la confiance

Ces deux ingrédients sont ainsi à la base de la réussite des équipes dispersées, qui se révèlent parfois plus performantes que les équipes colocalisées comme l’a révélé une recherche(28). Ces dernières ont en effet tendance  à sous-estimer les obstacles à la communication et à la collaboration comme si la simple co-présence physique assurait une coopération harmonieuse(29). Au contraire, les équipes dispersées sont beaucoup plus attentives à ces obstacles ce qui les incite à structurer leurs processus organisationnels et sociaux.

Attention toutefois, le télétravail n’implique pas en lui même ce type de management. Il reste parfaitement compatible avec un micro-management basé sur le méfiance et le contrôle serré des tâches. D’autant que les outils numériques permettent aussi de « télésurveiller » les salariés : contrôler les heures de connexion, l’historique de navigation, les frappes sur le clavier, les mouvements de souris, multiplier les messages pour apprécier la réactivité. Certains sont même allés jusqu’à surveiller visuellement les salariés via leur webcam. Une enquête réalisée en novembre 2020(30) a ainsi révélé que 45 % des employeurs français « télésurveillaient » leurs salariés.

3.4. L’accompagnement des salariés :

Les bonnes conditions à réunir pour un télétravail de qualité concerne également les salariés. Les télétravailleurs doivent en effet détenir une « triple autonomie », que l’entreprise peut les aider à acquérir via des formations :

  • autonomie sur leurs tâches, qu’ils doivent parfaitement maîtriser
  • autonomie sur les outils numériques, sur lesquels on les laisse encore trop souvent se débrouiller seuls
  • autonomie sur la gestion du temps, consistant à savoir prioriser ses tâches et à s’imposer une certaine discipline.

Les conditions matérielles dans lesquelles les salariés exercent leur activité à distance sont également essentielles. Il est ici important de déployer une infrastructure informatique à la fois sécurisée et facile d’utilisation sur lesquels les salariés sont formés mais également secondés grâce à du support et de l’aide technique. Enfin, si le télétravailleur exerce à domicile, les entreprises doivent également s’assurer qu’il bénéficie d’un bon espace de travail (une pièce dédiée et isolée avec du mobilier ergonomique) et l’équipement nécessaire (outils numériques et connexion Internet). 

Comme on le voit, les conditions à réunir pour assurer un télétravail porteur de qualité, autant pour l’entreprise que pour les salariés, sont nombreuses et le parcours est semé d’embûches. A cet égard, il est urgent d’intégrer les risques propres au télétravail dans les procédures de l’entreprise, et notamment le Document Unique d’Évaluation des Risques professionnels. En la matière, le télétravail sanitaire nous aura aidé à y voir beaucoup plus clair. 

Ces multiples conditions sont cependant indispensables à l’heure où le travail hybride tend à se généraliser et à devenir une nouvelle norme organisationnelle. Elles représentent par ailleurs de nombreuses opportunités qu’il serait dommage de rater : le télétravail tout comme le travail hybride offrent en effet l’occasion de  structurer de nouveaux process d’organisation du travail et de basculer définitivement vers de nouveaux modes de management si plébiscités dans les discours depuis l’avènement médiatique des entreprises libérées(31).

[1] Télétravail pratiqué à 100 %.

[2] Vayre, E. (2019). « Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social ». Le Travail humain, vol. 82, no 1, pp. 1-39. https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2019-1-page-1.htm?contenu=resume

[3] Vayre 2019.

[4] Diard, C., Hachard, V. (2021). « Mise en œuvre du télétravail : une relation managériale réinventée ? ». Annales des Mines – Gérer et comprendre, vol. 144, no 2, pp. 38-52.

[5] DeFilippis E., Impink S.-M., Madison Singell, Polzer J.-T., Sadun R., « Collaborating During Coronavirus: The Impact of COVID-19 on the Nature of Work », Working paper, National Bureau of Economic Research, July 2020.

[6] Allen, T.D., Golden, T.D., Shockley, K.M. (2015). « How effective is telecommuting? Assessing the status of our scientific findings ». Psychological Science in the Public Interest. vol 16, no 2, 2015, Sondage mondial auprès de 11000 travailleurs dans 24 pays en 2015.

[7] Enquête Censuwide pour LinkedIn France menée en août 2021 auprès de 1028 salariés. Cité In Asali S. (2021). « télétravail : les salariés ont peur pour leur carrière à cause de la distance ». Capital, 3 novembre 2021. https://www.capital.fr/votre-carriere/teletravail-les-salaries-ont-peur-pour-leur-carriere-a-cause-de-la-distance-1418891

[8] Enquête YouGov menée auprès de 266 cadres dirigeants d’organisations de plus de 1000 salariés.Cité In Asali S. (2021). « télétravail : les salariés ont peur pour leur carrière à cause de la distance ». Capital, 3 novembre 2021. https://www.capital.fr/votre-carriere/teletravail-les-salaries-ont-peur-pour-leur-carriere-a-cause-de-la-distance-1418891

[9] ANDRH / BCG (2020). « Le télétravail post-covid vue par les DRH ». Juin 2020. Enquête menée auprès de 458 DRH du 2 au 17 juin 2020. https://www.andrh.fr/actualites/1093/le-teletravail-post-covid-vu-par-les-drh-resultats-enquete-andrh-bcg

[10] Sondage Ifop réalisé pour la société de conseil et de courtage en assurance Siaci Saint Honoré avec Wittyfi. Cité in Ruello A. (2020). « Covid : le deuxième confinement a accru la fatigue des salariés ». Les Echos, 28 décembre 2020. https://www.lesechos.fr/economie-france/social/covid-le-deuxieme-confinement-a-accru-la-fatigue-des-salaries-1276710

[11] Une étude révèle de Malakoff Humanis a ainsi révélé que seuls 7 % des 154 dirigeants interrogés avaient proposé un accompagnement ou une formation sur le sujet du télétravail à leur manager. Source : Malakoff Humanis (2020). La santé au travail à l’épreuve du Covid. 13 octobre 2020. https://newsroom.malakoffhumanis.com/assets/etude-la-sante-au-travail-a-lepreuve-du-covid-le-13-10-2020-da73-63a59.html?lang=fr

[12] Fellowes (2021). Une nouvelle façon de travailler. Janvier 2021. Enquête menée du 10 au 14 novembre 2020 auprès de 7 000 employés de bureau à travers l’Europe (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Espagne et Royaume-Uni) travaillant à domicile pendant au moins quatre mois en raison de la Covid-19. 1000 télétravailleurs ont été interrogés en France. https://apps.fellowes.com/promos/new-way-of-working/fr/downloads/NWOW_SurveyReport_FR.pdf

[13] Ibid.

[14] Ministère chargé des sports (2020). « Activités physiques, sédentarité et télétravail en période de confinement ». Sports.gouv.fr, 27 novembre 2020.

[15] Institut Think (2021). Perspectives du télétravail, efficacité actuelle et futurs équilibres. juin 2021. Étude réalisée auprès de 1502 salariés de grands groupes et ETI du 8 au 15 février 2021

[16] Vayre, 2019.

[17] Vayre, 2019.

[18] Institut Think, 2021

[19] Diard, Hachard, 2021.

[20] Canivenc S., CahierM-L. (2021). « La productivité du télétravail repose-t-elle uniquement sur les salariés ? ». Les synthèses de la fabrique no 10, juin 2021. https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2021/06/LeCube10_La-productivite-du-teletravail-repose-t-elle-sur-les-salaries_WEB.pdf

[21] Recherches menées aux CNAM et corroborées par des ergonomes, Cité in Madeline B. (2020). « L’impact variable du télétravail sur la productivité ». Le Monde, 28 décembre 2020. https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/12/28/l-impact-variable-du-teletravail-sur-la-productivite_6064652_3234.html

[22] Greenworking (2021), Le télétravail dans les grandes entreprises françaises, mai 2012. Cité in Batut C., Tabet Y., (2020). « Que savons-nous aujourd’hui des effets du télétravail ? », Trésor-Éco, no 270, novembre 2020. https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/cns/ressources/Teletravail_Rapport_du_ministere_de_Mai2012.pdf

[23] Gibbs M., Mengel F., Siemroth C . (2021). « Work from Home & Productivity : Evidence from Personnel & Analytics Data on IT Professionals », working paper no 2021-56, Becker Fredman Institute, mai 2021 https://bfi.uchicago.edu/working-paper/2021-56/

[24] Bailenson, J. (2021), «Nonverbal Overload: A Theoretical Argument for the Causes of Zoom Fatigue », Technology, Mind, and Behavior, vol. 2, no 1, 23 février 2021.

[25] OCDE, Effets positifs potentiels du télétravail sur la productivité à l’ère post-covid-19 : quelles politiques publiques peuvent aider à leur concrétisation ?, juillet 2020. http://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/effets-positifs-potentiels-du-teletravail-sur-la-productivite-a-l-ere-post-covid-19-quelles-politiques-publiques-peuvent-aider-a-leur-concretisation-a43c958f/

[26] Cross R., Rebele R., Grant A. (2016), « Collaborative Overload », Harvard  Business Review, Janvier-février 2016. https://hbr.org/2016/01/collaborative-overload

[27] Taskin L. Tremblay, D.-G. (2010), « Comment gérer des télétravailleurs? », Gestion, vol. 35, no 1, pp. 88-96.  https://www.cairn.info/revue-gestion-2010-1-page-88.htm?contenu=resume

[28] Siedbrat F., Hoegl M., Ernst H. (2009), « How to manage virutal team », MIT Sloan Management Review, 1er juillet 2009, https://sloanreview.mit.edu/article/how-to-manage-virtual-teams/

[29] Canivenc S (2021). « Coopération au travail : la machine à café ne fait pas tout! ». The Conversation, 5 septembre 2021. https://theconversation.com/cooperation-au-travail-la-machine-a-cafe-ne-fait-pas-tout-165915

[30] Étude GetApp réalisée auprès de 1 309 salariés et 269 cadres dirigeants français, du 13 au 17 novembre 2020. Cité in Soyez F., « 45 % des employeurs “télésurveillent” leurs salariés », Courrier Cadres, 2 décembre 2020. http://courriercadres.com/entreprise/vie-au-travail/45-des-employeurs-telesurveillent-leurs-salaries-02122020

[31] Getz, I. Carney, B. (2012). Liberté et Cie, quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises. Clés des Champs.

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