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Covid-19 vs Code du travail. La Start up Nation ne lâche rien

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Mercredi 1er avril 2020.

Par Josépha Dirringer, enseignante chercheuse en Droit du travail.

On avait pu espérer un temps que nos gouvernants avaient redécouvert le sens du service public, le sens de l’État social, le sens du mot solidarité. C’était sans doute une poussée de fièvre qui leur avait fait perdre la tête. Assez rapidement ils se sont repris, car à n’en plus douter leur credo autorité, instabilité et austérité est bien ancré. À peine la loi d’urgence pour faire face au covid-19 adoptée, le gouvernement a pris une vingtaine d’ordonnances et de décrets. Signe que leur boulimie normative est elle aussi intacte. Signe encore que ces textes de « guerre » sont aussi une guerre contre le monde du travail. Dans ce domaine, les masques sont tombés et ils ne prennent plus de gants. 

Autorité

L’unilatéralisme fait son retour ! À tous les niveaux, et au moins jusqu’au 31 décembre 2020, nous voilà soumis aux chefs, petits et grands, chefs de guerre, chefs d’entreprise, à leur arbitraire (et leur incompétence), à leur plaisir de diriger, à leur conviction d’être des gens qui comptent et qui sauvent le monde. La Start up Nation est en marche. Finis la concertation, le dialogue social et la négociation collective ! Du moins sont-ils limités à leur portion la plus congrue. De bien des manières, ces textes reposent sur une forme de normativité autoritaire et ouvrent la voie à l’arbitraire.

Dans cette entreprise de communication guerrière, et quand bien même l’article 16 de la Constitution n’a pas été mobilisé, chaque texte se veut la marque d’une mesure prise par et pour les chefs, qui savent se « challenger » et qui ne sont pas des « défaitistes ». Plus que jamais, pour eux, la nécessité devient l’argument ultime justifiant que soient balayés droits fondamentaux et contrepouvoirs. Le recours aux ordonnances, une fois de plus, en est l’un des signes. Une vingtaine ont été adoptées à la va-vite, sans véritable concertation ni maturation, et sur la base d’une habilitation légale elle-même prise au pas de charge. Il en va de même des décrets, notamment celui relatif à l’activité partielle qui, contrairement à ce que les interlocuteurs sociaux pensaient, va modifier durablement l’état du droit. Il faut disrupter et fissa !

C’est aussi au niveau de l’entreprise qu’il faut réhabiliter l’unilatéralisme et le pouvoir des chefs. Le gouvernement souhaite laisser au maximum les coudées franches aux employeurs sans qu’ils ne soient embêtés par l’obligation de respecter les droits des salariés ou devoir rendre des comptes aux représentants des salariés. 

S’agissant des jours de congés payés, in extremis, l’Assemblée Nationale a corrigé le texte en prévoyant la nécessité d’un accord collectif. Mais la formule adoptée apparaît bien étrange, tant elle garde la marque de la précédente rédaction. Ainsi un accord de branche ou d’entreprise pourra « autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés ». Pour le reste, nul besoin d’accord, l’employeur décide seul et sans contrôle. Chaque fois, l’ordonnance prend soin de rappeler l’impératif de nécessité au soutien de ces dérogations. C’est parce que « l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ». L’intérêt de l’entreprise à lui seul justifie-t-il que l’on puisse déroger à la loi comme aux normes conventionnelles applicables dans l’entreprise ? Nous qui pensions qu’il était difficile de faire pire que les accords de performance collective pouvant être conclus pour la seule raison de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi. Si. Il est possible de revenir au temps de l’employeur seul juge.

S’agissant des jours de RTT, l’ordonnance permet « à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs […] ». L’article 3 ajoute que l’employeur puisse imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés pour la prise de jours de repos. 

Le texte va plus loin encore s’agissant des « entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». Qui sont-elles exactement ? Le gouvernement est resté flou à ce sujet et un décret devrait intervenir afin de les définir. Sans doute peut-on se référer à la classification qui existe dans le domaine de la cybersécurité et qui identifie les opérateurs d’importance vitale (OIV) et les opérateurs de services essentiels (OSE) 1. Si c’est le cas, cela signifie aussi que les entreprises qui relèveront de cette catégorie le seront à la suite d’un acte ad nominem et non de l’application d’une norme générale prise probablement par arrêté du Ministre du travail voire du Premier ministre ? Cet acte administratif pourrait-il faire l’objet d’un recours ? Par un syndicat ou même par un salarié compte tenu des conséquences que cela aura in fine pour lui ? Si c’est le cas, cela ne manquera pas de soulever des difficultés contentieuses importantes. Entre temps le salarié aura travaillé et il attendra sans doute plusieurs années avant qu’il ne soit rétabli dans ses droits. Au-delà de l’insécurité juridique que cette réglementation d’exception crée, il faut comprendre que ce sont aussi des nouvelles allégeances que le gouvernement cherche à constituer. Les entreprises puissantes sauront avoir l’oreille du pouvoir pour obtenir l’arrêté leur permettant d’échapper au droit du temps de travail, là où les plus petits opérateurs y resteront soumis. Le risque d’arbitraire est par ce biais très fort. Les concernant, ce sera no limit ! Outre les dérogations précédemment visées, elles pourront « déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire au repos dominical ». L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 laisse ces employeurs entièrement maîtres des salariés, de leur temps et de leur santé. Ainsi, pour chacun des secteurs d’activité, un décret précisera […] la durée maximale de travail ou la durée minimale de repos qui peut être fixée par l’employeur ». La formule est pour le moins étonnante. En principe ce sont des limites qui s’imposent à l’employeur. Ici, à s’en tenir au texte, ces limites sont décidées par l’employeur. Cela en dit beaucoup et cela est de nature à inquiéter. Car ce n’est pas seulement une formule maladroite. Concernant ces entreprises, l’employeur n’est soumis à aucun contrôle. Les textes se limitent à une simple incantation, rappelant à l’employeur que sa décision doit intervenir « dans le respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs » et à lui imposer une simple information. Il doit informer sans délai et par tout moyen le comité social et économique ainsi que la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Mais information ne veut pas dire consultation. Les représentants des salariés n’ont donc pas vocation à exprimer un avis quant aux conséquences et aux risques que cette décision pourrait avoir pour les salariés ou quant aux mesures de prévention qui doivent être mises en place pour limiter les conséquences sur la santé des salariés. 

Plus largement, la loi d’urgence prévoit également que soient adaptées « les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment le CSE ». Tout laisse penser que les délais de consultation seront raccourcis voire que certaines obligations de consultation seront suspendues. Ces limitations au droit constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail et la gestion de l’entreprise sont d’autant plus contestables que les représentants des salariés sont d’ores et déjà dans l’impossibilité de faire appel de leurs experts – beaucoup de cabinets d’experts ayant décidé de recourir à l’activité partielle – ou de saisir le juge – la ministre de la justice a décidé de la fermeture de l’ensemble des juridictions à compter du lundi 16 mars 2020. 

Dans ce contexte est-ce bien raisonnable d’affaiblir le rôle des représentants des salariés ? Heureusement que ces derniers étaient présents pour alerter de la situation dans laquelle se trouvaient certains salariés ne disposant pas des dispositifs de protection suffisants pour prévenir le risque de contamination et les protéger contre les pressions lorsque face à cela ils entendaient exercer leur droit de retrait. Aujourd’hui encore leur mission apparaît essentielle dans un contexte où nombre de salariés sont, soit très exposés au risque de contamination, soit dans une situation d’isolement et de stress où il leur est difficile de satisfaire leurs obligations familiales en même temps que leurs obligations professionnelles. On ajoutera encore qu’ils sont sans doute les premiers à pouvoir alerter les pouvoirs publics des éventuels abus de la part d’employeurs peu scrupuleux qui pourraient par exemple déclarer un salarié en activité partielle tout en lui imposant de télétravailler, sans qu’il ne dispose d’ailleurs toujours du moyen matériel de le faire correctement.

Instabilité

L’unilatéralisme n’est pas la seule caractéristique de cette nouvelle régulation sociale. Il faut y ajouter une bonne dose d’instabilité, de manière à ce que plus personne ne sache quelle est la véritable règle applicable. Cette instabilité tient non seulement à une temporalité folle et à la disparité des autorités réglementaires investies du pouvoir d’édicter des règles à différentes échelles, mais aussi, parfois, à la légalité incertaine des décisions prises par le pouvoir exécutif et au caractère trompeur des informations qu’il communique au public. 

Par exemple, dans le champ du travail, qu’en est-il du régime actuel du télétravail ? Muriel Pénicaud a déclaré sur France 2 que dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, le télétravail « est un droit automatique ». Elle poursuit en avançant que si un salarié demande à travailler à distance, « l’employeur ne peut pas refuser ». « Après, si le salarié n’a pas d’ordinateur et si c’est un travail qui ne peut pas se faire en télétravail, bien sûr, l’employeur va lui dire non. Ah bon … ?! Et sur quel fondement ? On ne sait pas. La parole publique d’une femme politique n’est pas l’acte réglementaire d’une ministre du travail. Mais dès lors, quelle insécurité pour les milliers de personnes qui l’ont crue ! Concrètement qui décide ce qui peut être fait par télétravail ou non ? Qui décide du sort du salarié qui refuserait de venir travailler ? Qu’en sera-t-il du salarié sanctionné, voire licencié pour faute ? Pour l’heure, et quoi qu’en dise la ministre, en l’état du droit, il perdrait son emploi ! Au mieux pourrait-il prétendre à des indemnités (barémisées) pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. A ceci il faut ajouter toute la série de « fiches conseils éditées par le ministère du Travail pour aider les salariés et les employeurs dans la mise en œuvre des mesures de protection contre le COVID-19 sur les lieux de travail ». Quelle valeur juridique ont-elles ? Aucune. Pourtant, en les publiant sur le site du Ministère et en affirmant publiquement que « si les employeurs ne respectent pas les guides, eh bien, à ce moment-là, ils sont en faute », la Ministre du travail laisse entendre que « ses » fiches ont force de loi. Surtout, comme l’a justement indiqué un article récemment publié sur Médiapart, cela fragilise le travail des inspecteurs du travail qui sont en principe seuls habilités à faire respecter les obligations des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail 2.

Austérité

À l’autorité et l’instabilité, s’ajoutera bientôt l’austérité car il faut préparer les lendemains qui ne chanteront plus. L’objectif des pouvoirs publics dans le domaine de l’emploi n’a en effet pas changé. Toujours et encore, il faut baisser le coût du travail. Certes, dans l’instant, il convient d’éviter le risque de pauvreté. De manière transitoire les réformes antisociales ont été suspendues 3, les droits au chômages maintenus 4 et un fonds de solidarité a été institué au profit des entrepreneurs 5. Mais cela a un coût dont il faut bien avoir conscience qu’il sera supporté par les travailleurs d’abord et par les contribuables particuliers ensuite. 

Aux travailleurs d’abord. C’est l’objet des mesures prises dans les domaines du temps de travail et des congés, et en matière d’épargne salariale. Pour certains, il s’agit de leur faire payer le temps du confinement en les obligeant à prendre leurs jours de congé, leurs jours de RTT pendant le confinement ou à utiliser leur compte épargne temps. Aux autres, en particulier ceux qui travaillent dans des secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale, la baisse du coût du travail passe par une augmentation sans précédent de leur temps de travail sans véritables contreparties.

Jusqu’au 31 décembre 2020, les salariés travaillant dans ces secteurs d’activité pourront être amenés à travailler jusqu’à 12 heures par jour et jusqu’à 60 heures par semaine (ou jusqu’à 48 heures sur une période de 12 semaines et sur une période de 12 mois pour les exploitations agricoles), tandis que la durée de repos quotidien pourra être abaissée à 9 heures au lieu de 11. Cela vaut aussi pour les travailleurs de nuit 6. Cela signifie qu’un salarié peut être amené à travailler 12 heures sur une plage horaire dont l’amplitude peut être de 15 heures. Ce régime met à l’écart les exigences posées en principe par le droit européen, en particulier la durée maximale de travail hebdomadaire fixée à 48 heures et la durée minimale de repos quotidien à 11 heures consécutives. Ces dérogations ont été instituées sans aucune contrepartie pour les travailleurs qui « triment » pour le bien de tous et avec notre reconnaissance éternelle. Ce n’est pas cher payé. Au mieux certains pourront avoir une prime. Au-delà du paiement du surplus de travail qui leur est imposé, qui au demeurant n’est pas toujours payé, quelle contrepartie est prévue pour compenser l’atteinte faite à leur santé ? Absolument rien. Derrière les limites imposées par le droit européen il s’agit en effet de considérer qu’au-delà des durées maximales de travail et en deçà des durées minimales de repos la santé des salariés est affectée. D’aucuns diront que la directive 2003/88 elle-même admet des dérogations en particulier pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de la production 7. Cependant, c’est à « la condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l’octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n’est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés ». En l’occurrence, il aurait été utile de le rappeler. Quant aux dérogations à la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures, l’article 22 de la directive impose que l’État membre s’assure qu’aucun employeur ne demande à un travailleur de travailler plus de quarante-huit heures au cours d’une période de sept jours, calculée comme moyenne de la période de référence visée à l’article 16, point b), à moins qu’il ait obtenu l’accord du travailleur pour effectuer un tel travail ». A dire vrai, les normes européennes instaurant ces dérogations sont discutables. Opérant une conciliation entre santé des salariés et impératifs économiques elles sont porteuses d’une logique d’efficience bénéfice/risque qui rend socialement acceptables les atteintes à la santé des salariés si cela est profitable économiquement. Même ces conditions, le gouvernement ne les respecte pas. Par suite, c’est délibérément qu’il met en danger la santé des travailleurs et les expose à des sanctions disciplinaires s’ils refusent de s’épuiser à la tâche.

Aux contribuables particuliers ensuite. Le premier exemple d’abaissement du coût du travail par transfert à la collectivité est évidemment la réforme de l’activité partielle 8. Immédiatement, il faut souligner que contrairement à ce que pouvait laisser penser le discours du Président de la République la réforme sera pérenne. A la suite de la réunion de la Commission nationale de la négociation collective de l’emploi et de la formation professionnelle, la CFDT écrit ainsi à propos du projet de décret : « nous avons pu penser que ces modifications, introduites dans un contexte exceptionnel, verraient leur application limitée dans le temps. Le dispositif d’activité partielle est modifié de manière pérenne. Ces dispositions entrent en vigueur pour les heures chômées depuis le 1er mars 2020 et continueront vraisemblablement à s’appliquer lorsque la situation sera revenue à la normale… ». De fait, seule a été limitée dans le temps la disposition relative au délai pendant lequel le silence de l’autorité administrative vaut acceptation implicite. Jusqu’au 31 décembre 2020, ce délai passe de 15 jours à 2 jours, ce qui dans le contexte, conduit à ce que la plupart des demandes soient acceptées. Pour le reste, le dispositif restera. 

L’activité partielle (nouvelle appellation depuis 2013) permet à l’employeur de déroger, dans des circonstances particulières, à l’obligation qui lui est faite de fournir du travail aux salariés et de les rémunérer en contrepartie. Ces circonstances sont la conjoncture économique, les difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel, la transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise, ou toute autre circonstance de caractère exceptionnel. Ce régime est par excellence un dispositif de flexicurité qui prétend conjuguer sécurité pour les salariés, flexibilité pour les employeurs, et activation des dépenses publiques. En effet, ce régime garantit aux salariés leur emploi. En cela il est une alternative au licenciement pour motif économique. Il garantit aussi aux employeurs leurs créances salariales lorsqu’ils font face à un risque d’exploitation. Lorsque l’employeur est autorisé par l’autorité administrative à être en activité partielle, ce dernier n’est plus soumis à son obligation contractuelle de fournir du travail et n’est plus débiteur de l’obligation de payer les salaires dus. À l’égard des employeurs, le régime de l’activité partielle est une alternative aux procédures collectives, ce qui les assure, une fois la crise passée, de pouvoir reprendre l’activité et de conserver une main d’œuvre disponible. Cette garantie du risque d’entreprendre est effectuée par un mécanisme de solidarité qui vient prendre en charge collectivement le revenu des salariés. En d’autres termes, et toute chose également par ailleurs, le régime de l’activité partielle réalise dans le domaine économique ce que l’assurance contre les risques professionnels réalise dans le champ de la santé. Il est un mécanisme qui assure doublement les salariés et les employeurs, les premiers contre le risque de la perte d’emploi et les seconds contre le risque d’exploitation. Jusqu’alors, l’indemnité versée aux salariés (correspondant à 70 % du salaire brut) en remplacement de leur salaire reposait sur trois sources de financement : l’État et l’assurance chômage qui finançaient à hauteur de 7,74 € pour les entreprises de moins de 250 salariés et de 7,23 € pour les entreprises employant au moins 250 salariés 9. Pour le reste, il revenait à l’employeur de compléter l’indemnité due aux salariés. A la suite de l’intervention du Président de la République, le 13 mars 2020, il a été annoncé que l’allocation serait entièrement prise en charge par l’État, y compris au-delà du salaire minimum. En réalité, l’Unédic participe toujours à ce financement. En revanche, les employeurs ne seront plus appelés à contribuer au financement de cette allocation. Concrètement, cela signifie que les employeurs bénéficient, pour faire face aux créances salariales, non plus d’une aide forfaitaire, mais d’une aide proportionnelle à la rémunération des salariés. Cette aide est fixée à 70 % de la rémunération horaire brute du salarié concerné, dans la limite de 70 % de 4,5 Smic. De plus, la durée de l’aide est passée de 6 mois à 12 mois. La baisse du coût du travail pour les employeurs est ici sans précédent dans la mesure où le décret supprime, pour les rémunérations inférieures à 4,5 SMIC, le reste à charge pour l’entreprise. Selon un rapport législatif, « le coût global du dispositif proposé serait […]de 8,5 milliards d’euros pour une application sur deux mois ». En 2015, les dépenses au titre de l’activité partielle se sont élevées à près de 178 millions d’euros, dont 110 millions d’euros à la charge de l’État et 68 millions d’euros à la charge de l’Unédic. À l’avenir, ce sera beaucoup plus. Or, il faudra bien trouver une source de financement. Etant donné l’objectif de baisse du coût du travail et du credo selon lequel il faut alléger les charges qui pèsent sur les entreprises, on peut craindre que ce soient principalement les contribuables particuliers qui seront appelés à financer ces aides. Au demeurant, au regard du caractère pérenne du dispositif, que reste-t-il du risque d’entreprendre (et de la liberté et des prérogatives que ce risque justifie et accorde à l’entrepreneur) ? 

On aurait pu penser qu’en contrepartie du fait que les pouvoirs publics supportaient désormais le risque d’entreprendre qui pèse en principe sur l’employeur, ils décident de les soumettre à un contrôle accru. Il n’en est rien. Cela a été dit. Jusqu’à la fin de l’année, le contrôle administratif sera quasi inexistant dans la mesure où l’autorité administrative ne disposera pas du temps nécessaire pour contrôler que l’entreprise respecte les conditions pour bénéficier de cette aide (2 jours). En outre, et cela de manière pérenne, la consultation du CSE ne pourra plus intervenir désormais que postérieurement à la demande faite à l’employeur. Cela est critiquable à plusieurs titres. D’abord, car il s’agit d’une décision importante affectant la marche générale de l’entreprise et les intérêts des salariés. A posteriori, cette consultation est dépourvue de tout utilité, tant à l’égard des salariés impactés par la décision qu’à l’égard de l’administration qui ne peut plus être alertée en amont du risque d’abus. On peut d’ailleurs s’interroger sur la légalité de cette disposition qui non seulement porte atteinte au droit d’information et de consultation des salariés mais aussi à la compétence du législateur, le pouvoir réglementaire étant ici intervenu dans des domaines relevant de l’article 34 de la Constitution.

Évoquons encore un dernier exemple, celui du fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises. Ce fonds est aussi à destination des travailleurs indépendants. Les conditions d’attribution des aides doivent être fixées par décret. Selon le rapport de la commission parlementaire, « concernant les travailleurs indépendants, y compris les micro-entrepreneurs lorsqu’il s’agit de leur activité principale, le gouvernement a annoncé qu’une aide financière exceptionnelle de 1 500 euros leur serait accordée en cas de chute d’activité causée par l’épidémie ». Cette aide est subordonnée à deux conditions : avoir enregistré une baisse d’au moins 70 % de leur chiffre d’affaires par rapport au mois de mars 2019 et réaliser un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros10. Alimenté par l’État, ce fonds pourra aussi être abondé par les collectivités territoriales. À aucun moment en revanche, l’idée n’a été formulée par le gouvernement que les donneurs d’ordre, et en particulier les plateformes numériques, grandes pourvoyeuses d’activité pour les micro-entrepreneurs, soient appelés à contribuer à soutenir financièrement ces travailleurs exposés à un risque de pauvreté résultant de l’absence d’activité. Uber a annoncé apporter une aide aux chauffeurs malades du covid-19 dans le cadre du contrat collectif qu’il a souscrit auprès de l’assureur AXA. Mais pour tous ceux empêchés de travailler, Uber ne fait rien. Il en va de même de Deliveroo, Frichti, et des autres plateformes. Le risque économique est par conséquent supporté par les micro-entrepreneurs et par les contribuables, mais cela ne coûte rien aux dirigeants et aux détenteurs de capitaux de ces plateformes. On ne peut pas totalement exclure pour l’heure que les plateformes numériques soient éligibles au fonds de solidarité, tandis que les travailleurs indépendants auxquelles elles ont recours ne remplissent pas les conditions.

De ce point de vue, le constat est beaucoup plus général et dépasse la seule question du droit du travail. Chacun aura pu déjà observer que les efforts demandés n’étaient pas également répartis. Que l’on demandait bien plus aux caissier.ère.s de supermarché qu’aux dirigeants et actionnaires. De même on pouvait attendre que les assureurs contribuent à supporter une partie des coûts sociaux et économiques engendrés par la crise sanitaire.

Pour l’heure, il n’en est rien11. L’autorité, l’instabilité et l’austérité pour les uns. Indulgence pour les autres. 

__________________________________

 1 Pour connaître ces secteurs, il convient de lire l’annexe figurant dans le décret n° 2018-384 du 23 mai 2018 relatif à la sécurité des réseaux et systèmes d’information des opérateurs de services essentiels et des fournisseurs de service numérique. Y figurent les transports, l’énergie, les banques, l’assurance, la logistique, les organismes sociaux, la santé, etc.

 2 L’inspection du travail gère avec peine les revirements du pouvoir, publié le 30 mars 2020, Médiapart.fr

 3 Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la mobilisation face à l’épidémie de COVID-19, la guerre sanitaire contre le coronavirus et sur les nouvelles mesures adoptées (report du 2e tour des municipales, suspension des réformes en cours, restrictions de déplacement…), Paris, le 16 mars 2020.

 4 Décret n° 2020-361 du 27 mars 2020 portant modification du décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 modifié relatif au régime d’assurance chômage. Le décret a pour objet de reporter au 1er septembre 2020 la date d’entrée en vigueur des modalités de calcul du salaire journalier de référence servant de base au calcul de l’allocation d’assurance chômage

 5 Ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

 6 Sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal en cas de travail quotidien jusqu’à douze heures.

 7 Ou encore dans les circonstances qui sont « étrangères [aux employeurs], anormales et imprévisibles, ou à des événements exceptionnels, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée ».

 8 Décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle.

9Ainsi en 2016, l’Unédic a fait état de 64 millions € de dépenses au titre de l’activité partielle pour un effectif de 226 228 personnes. En 2019, la dépense annuelle totale de l’Unédic en activité partielle était de 39 millions €.

10 Pour une étude plus précise des conditions, cf. Décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

11 Le 17 mars, le site de l’Argus de l’assurance publiait un article dans lequel il évoquait les propos du Ministère de l’économie : « l’Etat ne prendra pas en charge [NDLR La perte d’exploitation sans dommages]! Notre première responsabilité c’est la solidité financière de la nation. Nous avons mis en place un filet de sécurité pour les entreprises et les commerces : le fonds de solidarité vise à les soutenir. [Sur les pertes d’exploitation sans dommages], nous allons continuer à discuter avec les assureurs. Les catastrophes naturelles sont prises en charge, mais pas les catastrophes sanitaires. Nous allons voir avec les assureurs comment ils peuvent participer à l’effort de solidarité nationale ».

Photo Fabrice Savel.

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