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Droit de retrait en droit privé. À quelles conditions ?

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11 mai 2020

Par Valérie GREGOIRE, Avocat au Barreau de Paris.

Lire notre avertissement : https://bit.ly/3a2fgEE

Je suis embauché en CDI par une entreprise commerciale. Je vais reprendre la semaine prochaine et je voudrais savoir comment s’exerce un droit de retrait et quels risques je prends alors ? 

Vous disposez d’un contrat de droit privé et vous vous apprêtez à reprendre votre activité professionnelle.

Dans l’hypothèse où votre employeur ne prendrait pas toutes les mesures pour assurer votre protection, vous vous interrogez sur l’exercice possible de votre droit de retrait.

Les textes

La loi de 1982 a effectivement accordé aux salariés un droit de retrait individuel comme corolaire au droit d’alerte dont il dispose.

C’est un droit individuel même s’il peut être exercé par un groupe de salariés.

 L’article L4131-3 du Code du travail prévoit :

« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection »

Ce droit est conféré aux salariés quelle que soit la nature du contrat (stagiaire, salarié intérimaire, embauché en CDD ou en CDI etc) mais à la condition que le contrat ne soit pas suspendu.

Il ne peut ainsi être exercé préalablement à la reprise de poste après un arrêt de travail par exemple.

Les conséquences du droit de retrait

La faculté de se retirer d’une situation de travail perçue comme de nature à engendrer un danger grave et imminent est donc un droit du salarié, lui permettant de quitter son poste mais dont la pertinence de l’usage n’est appréciée qu’à posteriori.

Or, les conséquences peuvent être lourdes pour le salarié.

Si le droit de retrait est jugé légitime:

  • Droit au maintien du salaire aussi longtemps que dure le danger avec possibilité de solliciter le cas échéant, une demande de rappel de salaires, devant  la formation des référés du Conseil des Prud’hommes
  • Toute sanction disciplinaire fondée sur l’exercice du droit de retrait,

est nulle

Il a ainsi été jugé par la Cour de Cassation:

« Mais attendu qu’ayant constaté que le salarié avait légitimement exercé son droit de retrait, peu important qu’il ait obtenu l’accord de son employeur pour quitter son poste de travail, et que l’un des reproches formulés par l’employeur dans la lettre de licenciement reposait sur l’exercice de ce droit de retrait, la Cour d’appel en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués, que le licenciement était nul ; que le moyen n’est pas fondé »:voir (en ce sens un arrêt de la Cour de Cassation  du 25/11/2015  n°14-21272)

Si en revanche le droit de retrait n’est pas fondé, ou ne l’était plus après régularisation par l’employeur, le salarié encourt un risque important :

  • Il peut se voir infliger une retenue sur salaire,
  • Il peut même faire l’objet, s’il ne reprend pas son poste après mise en demeure, d’une sanction voire d’un licenciement

Il a ainsi été jugé par la Cour de Cassation

«Mais attendu qu’ayant retenu qu’à compter du 28 juin 2007 les salariés n’avaient pas de motif raisonnable de penser que la situation de travail dans laquelle ils se trouvaient présentait un danger grave ou imminent pour leur vie ou pour leur santé et ayant constaté qu’après cette date ils ont persisté dans leur refus de reprendre le travail malgré des mises en garde de l’employeur, la Cour d’appel a pu décider que ce comportement rendait impossible leur maintien dans l’entreprise et constituait une faute grave ; que le moyen, inopérant en sa quatrième branche qui critique des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus » (Cass soc 24/09/2013  numéro 12-11532.)

Le salarié doit donc être en mesure de pouvoir rapporter la preuve que les conditions prévues à l’article L4131-3 sont bien réunies.

Il doit ensuite pouvoir être en mesure de rapporter la preuve que les conditions sont réunies pour la poursuite de son retrait.

Il est vrai qu’en matière de procédure disciplinaire, le doute doit profiter au salarié. 

Toutefois l’exercice de ce droit de retrait doit, au regard des risques encourus, être soigneusement étayé.

Le formalisme de l’alerte

Le législateur n’a imposé aucun formalisme.

Il est vivement conseillé toutefois d’aviser son employeur par écrit de l’exercice du droit de retrait au regard du danger grave et imminent encouru et d’exposer les circonstances amenant à ce constat.

Il convient de conserver la preuve de ce que cette alerte a été adressée à l’employeur ou au supérieur hiérarchique.

Il peut s’agir d’une lettre recommandée ou d’un mail, succédant par exemple à un sms si le lieu de travail ne permet pas l’envoi d’un courriel.

Cette alerte doit être concomitante ou antérieure à l’exercice du retrait et non postérieure. 

A défaut, le salarié encourt le risque de se voir reprocher un abandon de poste.

Le salarié doit en outre, nonobstant son droit de retrait, rester à la disposition de son employeur, dans une partie des locaux par exemple où le risque serait inexistant.

Les conditions requises

Pour être légitime, le droit de retrait doit répondre à l’existence d’un danger grave et imminent pour la vie ou la santé du salarié, ou à un constat de défectuosité du matériel de protection.

L’origine du danger 

Le danger n‘est pas défini par la loi.

Il s’agit d’un péril, du risque de la survenance d’un dommage, portant sur la vie du salarié, ou sur son état de santé, qu’il s’agisse d’atteintes physiques ou psychologiques.

Ce péril peut résulter de situations très diverses et notamment de l’environnement au travail, de matériels ne répondant plus aux normes, devenus défectueux et dangereux, voire du contact avec d’autres salariés, des clients etc.

Cette mise en danger peut résulter du propre état de santé du salarié (la grossesse par exemple, ou une pathologie préexistante).

Les caractéristiques du danger encouru

Il doit s’agir d’un danger grave défini comme de nature à porter atteinte à la vie ou à entrainer des conséquences durables comme une incapacité permanente.

Il s’agit d’un danger potentiellement imminent, c’est-à-dire suffisamment probable, brutal et susceptible de se réaliser sans que le salarié soit en mesure de se prémunir de sa survenance.

Une appréciation subjective par le salarié

Il est nécessaire pour que le droit de retrait soit jugé légitime que le salarié ait un motif raisonnable de penser qu’il se trouvait exposé à une situation présentant les caractéristiques susvisées.

Il n’a pas à rapporter la preuve de la réalité du risque mais du caractère sérieux de la perception qu’il a de son existence.

Il lui faudra donc, pouvoir établir les éléments l’ayant conduit à une telle perception ; l’appréciation du motif raisonnable pourra dépendre aussi de circonstances personnelles, comme celles tenant à l’expérience professionnelle du salarié, à son âge, sa compétence, son état de santé, voire aux antécédents existants dans l’entreprise.

Le Conseil des Prud’hommes appréciera en cas de contestation, si le salarié était légitime à penser que le risque grave et imminent état réel pour lui.

Les suites données par l’employeur au droit de retrait

Il appartient à l’employeur dans le cadre de son obligation de sécurité (largement rappelée par mes confrères dans leurs réponses précédentes et fondée sur les dispositions notamment de l’article L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail) de mener une enquête sur le risque dénoncé et d’y mettre un terme.

Si le risque est avéré, l’employeur doit y remédier et le salarié est légitime à poursuivre son droit de retrait jusqu’à la réalisation des mesures destinées à garantir sa sécurité.

Si l’enquête révèle l’inexistence de tout danger ou la fin du danger du fait des dispositions prises, l’employeur pourra délivrer au salarié une mise en demeure de reprendre son poste.

Il est indispensable d’informer les représentants du personnel et les représentants syndicaux du danger constaté

Le CSE dispose lui-même d’un droit d’alerte et il est vivement conseillé de s’appuyer sur son aide et expertise pour analyser notamment si les travaux effectués par l’employeur sont de nature à remédier de manière durable au danger potentiel signalé.

Pour apprécier le danger lié au COVD 19

Les employeurs doivent avoir, préalablement à la reprise d’activité, mis en œuvre les dispositions nécessaires pour garantir aux salariés la sécurité à laquelle ils ont droit : évaluation des risques, mesures de prévention, respect des gestes barrières et des règles de distanciation sociale, fourniture de matériels adaptés, mise à jour du document unique d’évaluation des risques, information et formation des salariés.

Le CSE, lorsqu’il existe, doit être associé à l’évaluation des risques notamment à l’occasion de l’actualisation du document unique d’évaluation (dit DUER).

Ont été établis par le gouvernement :

Le gouvernement a cependant cru, à l’occasion de questions-réponses qu’il publie sur son site, pouvoir d’ores et déjà estimer :

« Si l’employeur a mis en œuvre toutes les dispositions prévues par le Code du travail, ainsi que les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité des travailleurs, et qu’il les a informés et préparés, notamment par l’intermédiaire de ses représentants du personnel, le droit de retrait ne devrait pas en principe trouver à s’appliquer ; le droit de retrait ne serait pas alors justifié, eu égard aux seules circonstances de la contamination d’un salarié par le virus, à l’affectation d’un salarié à l’accueil du public, au déplacement à l’extérieur de l’entreprise ».

Cependant, cette appréciation du gouvernement ne devrait pas juridiquement être de nature à lier les Juridictions, lesquelles devraient conserver toute latitude pour apprécier la dangerosité dénoncée, au regard de la spécificité de certaines activités professionnelles, des conditions particulières de leur exercice.

La reconnaissance de la légitimité du droit de retrait ne devrait pas pouvoir être exclue du fait du seul respect des conditions visées par les recommandations générales du gouvernement.

L’appréciation des juridictions restera souveraine.

En toute hypothèse, l’expérience montre malheureusement que, dans les faits, des entreprises ne mettent pas en œuvre les mesures recommandées et ce, quelles que soient leurs déclarations d’intention, de sorte qu’il est probable que dans un futur proche se développe aussi un contentieux sur le préjudice d’exposition et d’anxiété notamment.

Il est donc indispensable, dans le cadre d’un droit de retrait, compte tenu des conséquences qui peuvent être particulièrement lourdes pour un salarié et du contrôle seulement à postériori de sa légitimité :

  • De vérifier si les mesures préconisées par les fiches métier et le protocole de reprise d’activités sont bien respectées 
  • De notifier par écrit son droit d’alerte et de rester à la disposition de son employeur
  • De se faire assister par les représentants du personnel et de les consulter si possible préalablement à son droit d’alerte
  • De sauvegarder les éléments établissant la perception du danger encouru et de son éventuelle persistance.
  • De saisir la médecine du travail et l’inspection du travail
  • De ne pas mettre en danger, par son droit de retrait, ses propres collègues.

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