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Copie d'écran - Université de Rouen

Contribution

Le travail des universitaires sous tension : les femmes maîtresses de conférences

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6 mars 2020

Par Sophie Devineau [1] (photo copie d’écran Université de Rouen) avec la collaboration de Camille Couvry, François Féliu et Anaïs Renard[2].

Devineau S., and Couvry C., Féliu F., Renard A. (2018), Working in Higher Education in France Today: A Specific Challenge for Women. International Journal of Higher Education, 7(3):209-220. doi: https://doi.org/10.5430/ijhe.v7n3p209

INTRODUCTION. Le mouvement « Sauvons l’université » soulignait dès 2007 le risque de voir s’aggraver les difficultés rencontrées par les enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs missions d’enseignement, de recherche et d’administration décrites par Christine Musselin (2008). Plus de dix ans après la mise en œuvre de la loi LRU[3], le constat de départ, est celui de la réorganisation profonde de l’enseignement supérieur avec comme points de repères la diminution drastique des moyens dans les formations, le changement du mode de gestion administrative et la généralisation du système de financement de la recherche par appels à projets. Les enseignants-chercheurs sont transformés en prestataires d’heures de cours au détriment de la cohérence pédagogique des cursus et se confrontent au dilemme du choix entre formation et recherche. Dans ce nouveau modèle du travail dans le supérieur, c’est le temps qui apparaît comme la denrée la plus rare et après laquelle tous les enseignants courent. Une difficulté qui se trouve redoublée dans le cas des femmes, et particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes femmes mères d’enfants en bas âge (Azizi, 2014).

L’étude porte sur l’analyse des conditions de travail des maîtresses de conférences (MCF) avec une focale sur la génération entrée dans le métier au tournant des années 2000. La problématique croise ainsi la sociologie du genre et du travail (Maruani, 2006) afin d’éclairer la difficile articulation des temps de vie (Méda, 2001) des enseignantes-chercheuses et son impact négatif sur le temps consacré à la recherche. L’analyse se centre sur les déclarations estimées du temps consacré aux divers aspects du travail à l’université entre recherche, enseignement et responsabilités administratives. Une attention particulière est portée aux mécanismes de décrochage de la recherche et à l’inverse à ceux conduisant à jouer le jeu de New public management [4] et de la quête constante de crédits de recherche dans les réponses aux appels à projets, ceci en dépit de l’assignation des femmes aux responsabilités pédagogiques et au suivi des étudiants, les tâches du care (Molinier, 2006) moins prestigieuses et moins visibles, que les responsabilités de recherche (tâches d’autorité) et plus souvent assumées par des hommes. Nous examinerons en premier lieu l’activité dans le supérieur à travers les différentes missions attachées à la fonction. En deuxième lieu, nous chercherons à spécifier le temps de travail et hors travail des femmes MCF à travers les emplois du temps non négociés, les horaires tardifs des réunions ou les pressions pour assurer des heures complémentaires non souhaitées, la charge horaire et mentale d’une connexion continue, des tâches administratives chronophages, la cadence accélérée des dossiers urgents à traiter, l’empilement des tâches urgentes à effectuer dans des délais trop courts, l’éclatement géographique des lieux de diffusion et d’échanges des savoirs. En outre, l’enquête qualitative abordera la santé, une dimension plus difficilement objectivable dès lors qu’il s’agit des surmenages et des petits maux chroniques liés à un surcroît de stress (Bouffartigue, Pendariès et Bouteiller, 2010). Tout ceci vise à informer la manière dont le travail est concrètement mis en oeuvre, avec quels dilemmes et quelles options stratégiques, le sens du métier pouvant s’en trouver affecté dans une profession intellectuelle aux prises avec le travail en miettes décrit par Georges Friedmann (1956).


[1] Professeure de sociologie, DySoLab, Rouen Normandie Université

[2] Enquêteur.e.s associé.e.s à l’étude : respectivement, docteure en sociologie, ingénieur d’études, étudiante en master de sociologie, DySoLab, Rouen Normandie Université.

[3] LRU : loi relative aux Libertés et Responsabilité des universités, 2007-1199 du 10 Août.

[4] Principes inspirés du secteur privé. Piraux, A. (2012b), « La privatisation de l’éthique administrative », Pyramides, n° 22.

MÉTHODOLOGIE. La trame de l’enquête a été conçue lors d’observations à divers postes universitaires. Le travail de coordination, au moment de la mise en œuvre de réformes touchant la réorganisation de l’offre de formation, a été l’occasion de relever un ensemble d’éléments structurant les demandes et préoccupations des enseignants-chercheurs. Ainsi, les différentes rubriques de la grille d’entretien ont été tirées de ces relevés effectués durant plusieurs années, puis affinées grâce à l’interview d’une personne responsable du CHSCT[1] d’une université et de deux responsables d’années d’études en licence. Les différentes dimensions des conditions de travail abordées sont les suivantes : l’évolution ressentie du temps de travail, l’amplitude de la journée de travail, le travail le soir, le week-end et pendant les vacances, la répartition du temps de travail entre les missions d’enseignement, de recherche et d’administration, la charge d’enseignement, les mandats électifs, les responsabilités pédagogiques et de recherche, la charge de secrétariat, le temps consacré à la recherche de financements, le retour de congé de maternité, l’accès à un congé de recherche. L’ensemble de ces rubriques est également articulé à une enquête par questionnaire (encadré méthodologique).

Si l’accueil a été très bon et si le thème de l’enquête a suscité un vif intérêt, outre le manque de temps à consacrer à un entretien, l’obstacle majeur a résidé dans le récit de soi de la part de professionnelles qui ont un habitus académique les portant peu à l’épanchement sur les difficultés du métier. Au contraire, pour accéder au titre de doctorat, puis aux expériences post-doctorales et enfin à un poste de MCF à l’université, elles ont franchi brillamment une série d’obstacles et ont ainsi forgé une capacité d’endurance sur de longues années et acquis des compétences parmi les plus exigeantes pour relever les défis de la recherche scientifique. Les femmes de l’enquête ont l’assurance des professionnels qui possèdent la fierté d’un parcours de haut niveau réussi et qui jusqu’ici se sont sentis un peu à l’écart des questions de précarité et de souffrance au travail. En effet, le prestige de la science, assorti du statut de cadre A+ et de la condition de fonctionnaire, invite peu à percevoir l’organisation universitaire sous un angle critique au sein d’un monde du travail malmené.

Tout l’enjeu de la passation des entretiens situés ainsi socialement a donc consisté à pousser l’enquêtée à décrire concrètement sa charge de travail et les tensions entre la vie professionnelle et la vie privée. Ensuite, l’analyse de cette parole implique une attention aux évitements, aux procédés d’euphémisation et de minoration. Cette démarche a par ailleurs été complétée par les données statistiques issues d’un questionnaire lancé par le SneSup sur la même période et portant sur les conditions de travail dans le supérieur.

L’activité dans le supérieur

La découverte de l’activité d’enseignement est vécue comme un « choc » tant le nombre d’heures de cours d’un service de 192 heures se révèle très lourd et peu compatible avec le rythme soutenu de l’activité de recherche. « L’enseignement prend plus que 50% de temps. C’est dans les moments sans cours que c’est plus la recherche ». L’expérience de la thèse de doctorat ne prépare pas ou peu à la réalité des besoins en encadrement des formations qui demandent une forte implication pédagogique et administrative. Une difficulté accrue les premières années par des enseignements non choisis et des heures complémentaires imposées qui peuvent aller jusqu’à doubler le service. « La rentrée c’est très lourd quand on est responsable d’un diplôme », une réalité qui touche notamment le master. Cela demande un investissement très conséquent puisque cela recouvre des tâches multiples : « Il y a tout ça qui se rajoute à la responsabilité d’un diplôme et aux cours … ». Les échanges internationaux supposent une implication sur toute l’année, avec des réunions, des salons européens pour les conventions avec les universités étrangères.

Les témoignages des responsables permettent d’éclairer le travail vécu par les enquêtées et de mettre en perspective leurs difficultés comme leurs stratégies. En premier lieu, c’est au sein même de l’activité de recherche qu’est souligné le risque psychosocial que des conditions de travail respectueuses du caractère bien spécifique de l’activité de recherche permettaient jusque-là de contenir : « Pour être enseignant chercheur et évoluer dans la carrière, il faut un bon dossier ce qui nécessite beaucoup de travail pendant la thèse, et ensuite un quotidien professionnel avec très peu de vacances, des journées où on commence à 9h00 et on finit à minuit sans compter ses heures, des nuits blanches pour finir la rédaction de publications. Les dangers mêmes du métier peuvent s’apparenter à la question de la recherche : on a ceux qui arrivent à publier et ceux qui n’y arrivent pas, ceux qui obtiennent les bonnes revues et ceux qui n’y arrivent pas, ceux qui se trouvent invités. Cette différenciation fait que ce système va toujours créer une certaine souffrance, décourager certains. C’est intrinsèque au métier lui-même mais ça s’est aggravé avec les évolutions récentes et notamment les notations des enseignants-chercheurs ».

Ainsi, outre cette part propre à un métier créatif et exigeant par définition, il est relevé une nette aggravation du fait des nouvelles procédures liées à l’application de la LRU. Autrement dit, s’est ajouté au stress interne à la quête de connaissances nouvelles, un stress externe d’ordre organisationnel et administratif. « On essaie d’évaluer l’enseignement et la recherche et parmi les critères, les gouvernements successifs proposent plusieurs modalités. Par exemple, en 2008, V. Pécresse avait proposé de faire une distinction entre les chercheurs-publiants et chercheurs-non publiants. […] Donc, les critères d’évaluation peuvent vraiment poser problème. Toujours par rapport à l’évaluation, est apparue l’idée que les chercheurs qui publient moins devront prendre des heures d’enseignements en plus, et je pense que ce serait catastrophique… Cela pourra produire une souffrance au travail ».

La nouveauté selon le CHSCT et les responsables pédagogiques réside dans l’apparition de situations de souffrance au travail chez les enseignants-chercheurs, quand jusque-là cela ne touchait que les personnels techniques et administratifs. « Notre métier change : quand on choisit ce métier, c’est souvent pour une discipline, et une fois qu’on est dedans on s’aperçoit qu’on nous demande de plus en plus de choses qui ne relèvent pas de notre discipline. On nous demande un autre métier avec beaucoup de tâches administratives. Même si j’adore la pédagogie, je trouve que 192 heures de service c’est beaucoup trop ou la façon dont c’est reparti entrave beaucoup trop la recherche. J’ai des collègues qui passent leur temps à monter des dossiers ANR[2] avec certains qui aboutissent. Mais en cas de refus, c’est toujours une déception et surtout le temps que l’on a passé à constituer ces dossiers est perdu. Dans certains laboratoires, les personnes ont très peu de fonds et ne peuvent pas monter de colloques, ou voyager pour se rendre dans des événements scientifiques ou encore effectuer une mission par an. Ce ne sont pas des conditions confortables de travail ». 

Les enquêtées témoignent du fait qu’il y a eu, au tournant des années 2000-2010, une réelle évolution du métier dans le sens d’un accroissement de la charge de travail. « Je passe énormément de temps dans la gestion des mails. On est envahi par ça. On est en sous-encadrement et la charge de travail, elle augmente. On a de plus en plus de travail administratif…  ce que l’on a complètement intégré en fait ».

Ce sont les femmes qui s’impliquent le plus dans les tâches collectives de type pédagogique en dépit du fait que les hommes sont encore majoritaires à l’université. Cela n’est pas sans conséquence sur la répartition des trois temps de l’activité qui pour les femmes est, dans le meilleur des cas, de l’ordre d’un tiers enseignement, un tiers administratif et un tiers recherche, quand le statut est calé sur 50% recherche et 50% enseignement. « Il y a des échéances, ce sont les cours, les dossiers administratifs, les réunions. Du coup, la recherche … on reporte. C’est sur la recherche qu’on peut récupérer du temps, sauf quand on a des publications avec des deadlines, des colloques ». Entre les deux cœurs de métiers, la formation et la recherche, le premier tend à grignoter le deuxième, surtout dans le cas des femmes. « Il y a des statuts différents : les profs, ce sont des hommes peu investis dans la pédagogie, mais grosse implication dans la recherche ». « Au niveau de la recherche, les femmes sont affectées aux tâches ingrates. C’est un peu comme à la maison. S’il faut nettoyer les toilettes, il n’y en a pas un qui voit que c’est le moment de nettoyer. Eh ! bien au niveau du boulot dans les labos, s’il faut faire des tâches collectives, il n’y a pas un gars qui dira de lui-même qu’il faut le faire. Donc, c’est les collègues gars qui vont prendre les responsabilités les plus visibles, voilà. »

La violence du milieu universitaire est soulignée à de nombreuses reprises. Soumis constamment aux appréciations de la communauté à travers les articles, les colloques, évalué à travers sa capacité à obtenir des financements pour ses projets, lesquels font l’objet d’un contrôle permanent, c’est dans la solitude que l’enseignant-chercheur fait face aux jugements. Il s’agit donc d’une profession très exigeante dont la dureté se manifeste dans des relations professionnelles tendues : «  C’est quand même un métier sous tension. On est constamment jugés par nos pairs, ça c’est difficile, le fait d’être toujours évalué. Toujours jouer le jeu de la personne super-performante. Il faut être solide pour accepter ça ».

L’enquête par questionnaire décrit pour les hommes comme pour les femmes une charge de travail très importante : 84,8% des MCF déclarent que leur temps de travail est supérieur à la durée légale (35h) et aucun ne déclarent travailler moins que la durée légale. Au contraire, 75,3% déclarent devoir travailler le soir, 79,6% le week-end, et 79,3% pendant les vacances. Une charge de travail qui s’est accrue ces cinq dernières années  : 63,8% considèrent que leur temps de travail est en hausse contre seulement 26,2% qui l’estiment stable depuis 5 ans. Si 94,2% des MCF disent avoir une activité de recherche, 83,2% se plaignent de ne pas disposer d’assez de temps pour leurs travaux. Sur cet aspect crucial du métier les femmes se distinguent significativement des hommes avec 56,1% d’entre elles déclarant ne pas avoir assez de temps contre 48,2% des hommes. En effet, plus que les hommes, les femmes sont amenées à effectuer des tâches qui relèvent du personnel BIATSS[3]. Ainsi 67,5% des femmes le font par nécessité du service dans le supérieur contre 58,9% des hommes. Ce qui souligne la position subalterne dans laquelle sont tenues les femmes en regard de leurs collègues hommes.

La charge professionnelle est élevée et est durement ressentie par la majorité des MCF interrogés. 60% déclarent que l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle et familiale est plutôt insatisfaisant voire très insatisfaisant du fait de la durée du travail. Par ailleurs, ce sont les femmes qui semblent connaître le plus de difficultés à trouver un équilibre. La différence avec les hommes est statistiquement significative  : elles sont sur-représentées parmi les MCF qui déclarent être plutôt insatisfaits (60,4% contre 39,6% des hommes) alors que les hommes sont sur-représentés parmi ceux qui sont très satisfaits (56,6% contre 43,4% des femmes). De surcroît, l’organisation de l’articulation entre temps de travail et temps personnel et familial paraît significativement moins assurée pour les femmes MCF qui en sont insatisfaites pour 59,1% d’entre elles contre 40,9% des hommes. Là encore, seulement 43,3% des femmes disent avoir trouvé une organisation leur assurant un équilibre très satisfaisant quand c’est le cas d’une majorité d’hommes (56,7%). En termes de santé au travail, 36,9% des MCF disent que leur travail a un impact négatif sur leur santé psychique. Les femmes sont significativement surreprésentées parmi eux (41,1% contre 31,3% des hommes). Egalement, 43,6% des MCF considèrent que leur travail a un impact négatif sur leur santé physique, et les femmes significativement plus que les hommes (48,5% contre 37,1%). On peut relever aussi que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler loin de leur domicile (25% contre 20%). Elles n’échappent pas à la mobilité contrainte pour suivre le conjoint qui pèse sur l’ensemble des femmes. Une situation qui accroît les facteurs de fatigue au travail, notamment l’intensification de l’activité réalisée sur le lieu de travail. Les hommes, plus nombreux à résider à proximité étalent leur activité sur cinq ou six jours de présence (65% contre 48%), quand on compte plutôt trois à quatre jours pour les femmes (22% contre 13,6%).

Ce portrait sociologique établissant les différences qui affectent les femmes MCF doit également s’interpréter à la lumière de la fierté que leur procure ce statut dans un monde du travail peu ouvert aux femmes (Pfefferkorn 2012). Ainsi, plus nombreuses que les hommes à éprouver de la fierté (57,4% contre 50,2%), elles seront sans doute peu enclines à la critique de leurs conditions de travail lors de l’investigation qualitative (Jacquemart et Sarfati, 2016).

Les témoignages oscillent toujours entre passion et risque d’envahissement. Plutôt que d’une activité comme une autre, on est en face d’une suractivité qui se déploie sur plusieurs fronts. Quand on sait par ailleurs que la famille repose encore aujourd’hui sur les femmes, les question qui se posent sont celles de savoir comment elles tiennent un tel rythme, quelle organisation personnelle et professionnelle échaffaudent-elles ?

Le temps des Maîtresses de conférences

Les conditions de travail qui s’appliquent à tous vont se trouver amplifiées par des rapports sociaux de sexe défavorables aux femmes. Comme les femmes ingénieures (Marry, 2004), les universitaires ont échappé en partie à la ségrégation horizontale des emplois, mais elles seront soumises à la ségrégation verticale et à la barrière du plafond de verre (Guillaume et Pochic, 2007). « Mon principal souci c’est de dégager du temps pour la recherche, ne serait-ce qu’une semaine, ce qui me manque le plus c’est le temps. Il faudrait des plages dédiées à la recherche”.  L’intensification des cadences de travail est le prix à payer pour rester dans la course, sans toutefois éviter de se faire distancer par les collègues hommes. Les récits décrivent une course contre le temps aiguisée par la charge de famille. « Parfois du côté de la recherche j’ai quelques frustrations parce que pour la famille j’ai fait le choix d’être à 80%. Du coup parfois il y a des réunions de recherche qui se font le mercredi auxquelles je ne peux pas participer. Par rapport aux 80%, je dirais que je suis à 85-90%, mais c’est voulu aussi parce que j’aime beaucoup mon métier. Tous les matins, je suis heureuse de venir à mon travail, j’adore le métier que je fais ».

Gagner du temps est le leitmotiv des ces professionnelles qui disent constamment essayer de faire plus, essayer de faire tenir le maximum de tâches dans des temps courts. « Pour gagner du temps, j’essaie de manger le plus rapidement possible, j’essaie de faire 10 mn et après sur la demi heure de la pause de midi, j’essaie de prévoir s’il y a des choses à faire pour les cours, s’il y a des cours à améliorer ou bien pour préparer des examens ». « A 9h05, je commence ma journée par ouvrir mes mails parce que parfois il peut y avoir des caractères urgents. Maintenant, je suis connectée depuis peu, je le fais dans la voiture, du coup j’essaie de gagner du temps à ce moment là, au feu rouge ». « Le premier semestre est souvent dense, surtout avec les dépôts d’ANR … Hum ! on survit. Mais il faut pas qu’il y ait trop de maladies infantiles à ce moment là ». La pression psychique exercée par les urgences à traiter est accrue par l’échéance de l’habilitation à diriger des recherches (HDR)  qui est après la thèse un temps de recherche intense. « Il va falloir que je passe mon HDR. Ben, j’attends un petit peu que mon garçon rentre à l’école, je me dis que ce sera peut-être un petit peu plus tranquille. Je dirais qu’il faut que je mette un gros coup d’accélérateur parce qu’il faut des publications, parce que le 80% m’a ralentie. Après, je me dis, chaque chose en son temps, mais d’un autre côté j’ai déjà 39 ans. Mon but, c’est de passer l’HDR dans les deux à trois ans à venir ».

Passer son HDR est l’étape cruciale dans la carrière puisqu’elle va ouvrir la possibilité d’une promotion au statut de professeur avec des avancements en grades plus intéressants dans la recherche et un accès à certaines responsabilités plus élevées dans la hiérarchie institutionnelle. C’est un niveau où les hommes sont très majoritaires[4] qui laissent le plus souvent les femmes porter seules leur carrière : «  Les hommes ne font pas de pari sur les femmes. Les qualités associées au professeur sont masculines : avoir du charisme etc. ». « L’HDR ? pas pour l’instant. Il y a eu un temps où j’étais pas encore maman et j’étais à fond dans la recherche … Maintenant, je suis bien comme ça. Depuis trois ans, je suis maman. Pendant deux ans, c’était difficile de faire tout à la fois. On a du mal à gérer, à s’organiser … vie professionnelle et vie personnelle … trouver une nounou. […] Mais maintenant, je fais attention à ne pas trop travailler le week-end. Je travaille le soir ou pendant que ma fille fait sa sieste. On est obligé de travailler le soir ou le week-end pour suivre les mails, les dossiers … ». « Quand les enfants étaient petits, j’étais épuisée. J’ai passé l’HDR en 2012, le petit avait trois ans, c’était dur. Heureusement je n’ai pas craqué ! ».

Le coût personnel est à la mesure de l’effort consenti, quant aux relations professionnelles elles trahiront un machisme non feint à propos de la maternité : « Ah ! tu es déjà de retour ? Tu as laissé ton enfant … C’était vache, ça me faisait culpabiliser alors que eux ils ne prennent même pas huit jours de congé de paternité. C’était : Ah ! ma femme elle a pris une année, elle est restée à la maison. Ah ! tu es déjà revenue ! ». Encore difficile à concilier avec les exigences du supérieur, la maternité comme frein à la carrière et facteur de stress au travail est un point aveugle de l’organisation alors qu’il éclaire des retours après congés sans égards aux contraintes liées à la parentalité (Sylvera, 2002 ; Maruani, 2011). Le congé est vécu comme une entrave à l’avancée des recherches : « C’était pas simple, je devais être arrêtée pour grossesse à risque. J’encadrais deux doctorants. Du coup, ils venaient à la maison. C’est ça dans ce métier-là, on ne peut pas couper pendant 1 mois, 6 mois … ». Le retour de congé de maternité, est le moment qui marque le plus l’inégalité entre les femmes et les hommes. Elles constatent un « trou » dans la chronologie de leurs publications et de leurs avancées en recherche. Elles vont dès lors s’employer à rattraper le temps en mettant « les bouchées double » à un moment où ce n’est pas véritablement possible du fait de la charge d’un jeune enfant. « J’avais des articles qui s’accumulaient que je n’arrivais pas à rédiger, ça allait trop vite ».

L’obsession devient alors de grignoter ce temps de la maternité puis de le rattraper. Certaines stratégies comme la demande d’un congé pour recherche peuvent aider cette quête, mais les élues sont rares car le nombre de ces congés est très faible. L’option du temps partiel paraît alors la seule solution pour éviter le décrochage de la recherche, mais comporte des conséquences irrattrapables ensuite dans l’évolution de la carrière, ou sur la retraite. Une inégalité homme/femme criante puisque dans le cas des hommes, avoir des enfants est lié à une progression de carrière (Gadéa, Marry, 2000). « J’étais la première à prendre un temps partiel, ça a été très mal pris : pendant un an, le directeur de laboratoire ne m’a pas parlé. Et après, je suis partie faire de l’administratif au niveau de la fac pour respirer, ça m’a ôté des points de retraite. C’est moi qui suis perdante ». « Du coup dans la journée je suis toujours en train de regarder l’heure. Parfois, je suis en train de parler science ou avec les collègues d’enseignement, et je suis obligée de stopper la discussion en disant je suis désolée, je dois y aller. On pense embaucher une baysitter, mais ça a un coût aussi. Peut-être que ça me ferait du bien, ça serait moins de stress ». Au sein de la famille, cela implique une collaboration étroite entre les conjoints avec une bonne compréhension par celui-ci des exigences d’un travail peu connu. « L’organisation de la famille repose sur la femme. Mon mari, quand il a quelque chose à faire, la famille passe après, alors que moi j’ai pas le choix ». Parmi les petits arrangements mis en place dans le foyer, la répartition des tâches est un impératif, entre les courses, la cuisine, le linge et le suivi des activités extra-scolaires des enfants. Mais la profession du conjoint va beaucoup peser : « Mon mari est cadre dans le privé, donc une personne sur qui je ne peux pas compter. Mon mari rentre tard, du coup je récupère les enfants, je prépare à dîner, je les baigne. De 21h à 22h-23h30, il m’arrive de corriger des copies ».

Gagner du temps de recherche sur tous les instants de la vie, voilà l’organisation qu’ont trouvée ces femmes. Il s’agit d’utiliser tous les interstices que laissent les siestes et le coucher des jeunes enfants, le plat qui mijote. Se débrouiller pour empiler différentes tâches à la fois, faire entrer une double journée dans une seule est un procédé typiquement féminin et particulièrement prégnant chez les femmes MCF : prendre de l’avance, redouter l’imprévu qui enrayerait l’horlogerie de précision comme devoir prendre un rendez-vous médical pour un enfant. La vie s’apparente alors à une mécanique qui doit être bien huilée, comme le corps devient lui-même une machine entièrement au service du travail efficace sans égards pour la convivialité. « Je travaille dans la cuisine et je prépare le repas du lendemain, je m’avance ». « On est moins ouvert au travail car il faut être efficace. Donc pas le temps d’échanges sauf pour les doctorants. J’ai essayé de rester disponible pour les doctorants ».

Ce temps très compté laisse peu d’espace pour la vie de couple ou les loisirs personnels. De véritables plans  stratégiques s’avèrent nécessaires pour s’obliger à garder du temps hors travail. C’est le caractère conscient et de contrainte volontaire qui indique à quel degré se protéger de l’envahissement par le travail est en réalité presque impossible. La passion pour les recherches entreprises constitue déjà une incitation difficile à contenir, et si elle est – comme c’est le cas aujourd’hui — confortée par la norme sociale de la performance, alors la dérive est logique sinon inévitable. De ce point de vue, à l’instar des sportifs de haut niveau, les MCF ont été sélectionnées précisément sur leurs capacités d’endurance et de performance dans une véritable course d’obstacles « Oui, le parcours du combattant ». Mais contrairement aux sportifs, la recherche se déroule sur le temps long et les carrières aussi. L’effet d’usure à ce rythme soutenu est contraire à la longue durée qui est le caractère propre de la recherche. « Il faut tenir sur la longueur ». « Dans la semaine, j’essaie de me réserver une demi-journée ». « J’achète tous les spectacles à l’avance pour que moi et mon mari, on ait une soirée par semaine pour nous, mais il faut s’obliger, sinon il y a toujours quelque chose … ».

La mobilité internationale est de plus fortement valorisée car elle participe au rayonnement de l’université, mais dans le cas des femmes elle va toujours s’assortir d’un surcroît d’organisation personnelle, souvent d’un sentiment de culpabilité et parfois d’une restriction sinon d’un renoncement. « Deux séjours de 10 jours par an, c’est possible et même ça fait du bien. J’ai mes parents qui montent (pour garder le jeune enfant) ».

La personne niée par la professionnelle : jouer le jeu ou  dire STOP !

Après dix ans de mise en œuvre de la loi LRU et de ses attendus à propos d’une recherche dite d’excellence, les effets néfastes sur la santé des professionnels se révèlent crûment, notamment pour les femmes. Le défi à relever est celui de parvenir à augmenter sa productivité personnelle (Durand, Le Floch, 2006) en optimisant tous les temps morts que les femmes MCF s’ingénient à débusquer dans le quotidien familial. Une autre option stratégique vise l’évitement des tâches administratives et le sur-investissemnt dans les projets de recherche avec des techniques de “potentialisation” de soi : « Je fais du yoga. Sur la concentration j’ai beaucoup gagné … en puissance de travail de façon assez spectaculaire ».

Mais lorsqu’un certain seuil est atteint, les limites physiques et psychologiques imposent de reconsidérer le jeu social que l’on est poussé à jouer. Ne pas se prendre trop au jeu sans risquer le décrochage de la recherche, est en réalité un numéro d’équilibriste très compliqué. Savoir jongler efficacement relève d’une compétence savante et en soi complètement nouvelle, ce qui induit du stress et de la crainte. « Le plus difficile, c’est d’arriver à trouver un équilibre entre toutes nos activités ». Leurs projets de changer de travail donnent la mesure de la difficulté réelle : elles y ont toutes pensé et même de façon très sérieuse. Cette option de la fuite d’une profession qui a demandé tant d’efforts pour y accéder signale la profondeur du malaise professionnel comme du mal-être au travail. « Au début, j’arrivais à conserver une activité de recherche, après c’est difficile de garder la motivation. Après j’ai eu une phase où je voulais faire autre chose, changer de métier. J’ai fait un bilan de compétences». « Il y a deux ou trois ans, je me suis dit : ouh ! la, la … je vais partir. Peut-être que je vais changer de métier. J’ai même pensé aller travailler dans un bureau des brevets parce que c’est toujours la recherche et j’aime bien la biblio, suivre les nouvelles recherches ».

Pour un déroulement de carrière positif, certaines vont d’emblée surinvestir la recherche à travers le pilotage de plusieurs gros projets financés suivis d’accueil en délégation CNRS, ainsi que des responsabilités électives nationales : « Les conditions de travail ont changé les choses en interne, ça a beaucoup changé parce que les labos et les personnes sont en concurrence sur un appel à projet. Il y a des collègues qui craquent. C’est un sujet tabou entre collègues parce que personne ne veut montrer ses faiblesses dans un contexte concurrentiel. J’ai rarement entendu quelqu’un dire : je lève le pied. Mais il y a des sites maintenant, par exemple Slow Science[5]».

S’opposer à la fuite en avant orchestrée par la concurrence demande un sursaut de la conscience, et donc de s’extraire un moment des urgences du travail quotidien et de la concentration nécessaire à la recherche, chose qui demande un surcroît d’effort. « Je pense qu’aujourd’hui, il faut être capable de dire STOP !  je n’entre pas dans l’engrenage qui m’oblige à chercher plus d’argent à chaque fois. Parce que c’est un engrenage qui détruit. Après, on perd le contact avec ce qui fait plaisir, c’est-à-dire la recherche. Et c’est dommage ». Ensuite, mettre en place des stratégies concrètes d’opposition demande également une vigilance, une énergie spécialement dédiée à cette lutte contre le courant majoritaire. Enfin, le coût peut être lourd tant pour la carrière que pour le maintien de bonnes relations professionnelles. La peur du déclassement, de la perte de reconnaissance des pairs, de la placardisation est particulièrement aiguë pour ces professionnelles qui ont franchi toutes les barrières sociales qui se dressent devant la majorité des femmes visant les emplois les plus qualifiés. « L’HDR, les enfants en bas-âge, les doctorants, ça fait beaucoup. Et ce vécu là, m’a fait prendre conscience que ce n’était pas comme ça que je souhaitais travailler, et de prendre du recul et de dire NON ! Même si ça va ralentir ma carrière. Il y a eu cette réflexion. Après c’est pas facile de la mettre en pratique. Mais j’ai senti physiquement la fatigue. Mais c’est une réflexion qui n’est pas si simple parce qu’on nous met sous tension. Ce qu’il y a de bien dans notre travail, c’est qu’on a une grande liberté, une grande diversité, mais aujourd’hui, il faut être capable de dire : Non ! Quand on commence à comprendre qu’on est submergé par les différentes tâches. Et je me rends compte qu’il y a des tas de gens qui n’arrivent pas, et moi la première ». Ce parcours très difficile, elles l’ont réussi précisément parce que ce sont des battantes que les défis n’effraient pas. Leur profil sociologique, d’excellentes élèves puis de doctorantes sélectionnées par l’université dépeint des dispositions et un habitus académiques qui rendra d’autant plus difficile pour elles le fait de renoncer à être conformes au modèle de la performance ; ce qui fait d’elles des cibles toutes désignées pour le burn-out. En termes de prévention des risques psychosociaux pour la santé des personnels, il échoit ainsi une lourde responsabilité à l’institution universitaire envers les femmes notamment.

Entre un travail passionnant mais envahissant et la famille, les récits abordent très peu les temps personnels, de détente ou de loisirs. « J’adore dessiner, mais je n’arrive pas du tout à me dégager du temps ». « Je fais du sport sur le campus sur le temps de midi ». « Un loisir, vraiment personnel, à moi, non, pour le moment je n’ai pas le temps». Une disparition de la personne qui se manifeste plus profondément encore lorsque ces femmes prennent sur elles toute la responsabilité d’un ralentissement de carrière : « La carrière ? Pour moi ça a été un vrai ralentissement, mais je dirais que c’est mon choix. C’est moi qui ai choisi de profiter de mes enfants ». Il ressort une représentation culpabilisante pour les femmes dont les contraintes familiales se transmuent en choix libres faisant de leur carrière ralentie une juste sanction. Ce modèle d’explication sociale où en dernier ressort ce sont les individus qui paient leurs choix évite la question collective poussant les organisations à nier les contraintes de la vie au travail pour les femmes ayant des enfants. Précisément, la responsabilité sociale de l’institution n’est pas mise en cause, alors même que les conditions de la recherche ne sont pas assurées au niveau des exigences imposées.

Le bénéfice individuel qu’il y a toutefois à s’opposer réside dans un retour à une forme de cohérence avec ce qui a conduit à choisir cette voie: « Ce qui me plaisait, c’était la liberté — enfin que j’envisageais (rire) — l’autonomie dans ce milieu et les valeurs qui sont portées, ça m’a beaucoup motivé ». En effet, outre toutes les tâches concrètes de cette profession très exigeante, les professionnelles qui se sont orientées dans cette voie vivent un déchirement entre les valeurs humanistes recherchées et la réalité des objectifs marchands contraires à la mission de bien culturel commun. « J’ai plutôt choisi d’aller vers des recherches gratuites mais qui m’intéresent plutôt que vers des projets financés mais qui m’intéressent moins ». En effet, le coût psychologique n’est pas négligeable lorsqu’il faut se soumettre aux demandes thématiques des financeurs avec tous les risques déontologiques que cela implique tout en ayant par ailleurs la lourde responsabilité des résultats de recherche publiés. Les universitaires disent les risques scientifiques encourus par de telles situations et le sentiment de perdre son âme, d’être poussé à la faute professionnelle. « Parce qu’on doit aller chercher des financements… … alors ça provoque des glissements. Et je me dis : est-ce que travailler là-dessus, ça ne renforce pas les stéréotypes alors qu’on aborde les choses d’une autre manière justement”.

CONCLUSION. Le temps, denrée essentielle à la recherche fait cruellement défaut et constitue le point vers lequel convergent tous les entretiens. Ce manque est le principal facteur du stress des enseignantes-chercheuses chargée de famille. La passion pour la recherche, l’implication auprès des étudiants et dans la conception de formations innovantes, laissent au second plan des revendications salariales. La demande est ailleurs. Elle pointe des conditions de travail impossibles à supporter longtemps et des objectifs intenables. Le défaut de reconnaissance de ce qu’est le travail de recherche et d’enseignement dans le supérieur souligne le hiatus qui sépare les politiques publiques du terrain.

La liberté et l’indépendance de la recherche sont précisément étroitement liées au temps de l’enseignant-chercheur qui se trouve d’autant plus contraint qu’il s’agit des femmes ayant des enfants. A moins de soutenir que le développement de la mixité de cette profession n’est pas souhaitable, on prend la mesure du danger que font planer les conditions actuelles de travail. La pensée flottante, le loisir d’explorer des pistes nouvelles, la place aux imprévus et aux surgissements culturels, tout cela semble aboli tant le temps des femmes scientifiques est rationalisé, robotisé par une productivité envahissante. En disparaissant, le temps personnel comme le temps des interactions professionnelles fabriquent de la déshumanisation dans un des rares univers où l’humanisme, les humanités et les progrès technologiques des mondes futurs sont au ceur des recherches. Un résultat paradoxal qui se révèle insupportable pour nombre d’universitaires, tant du point de vue de l’éthique de la science ou du service public rendu aux étudiants, que du point de vue des ressources personnelles physiques et psychologiques.

L’autonomie dans le travail qui constitue la clé de voûte de l’édifice universitaire et scientifique, se trouve contestée par un pilotage et un contrôle tâtillon dans le supérieur. Dès lors, plutôt que de se soumettre à des tâches d’exécution des commandes publiques et privées, certaines universitaires vont délibérément tourner le dos à ces injonctions et préférer mener des recherches indépendantes sans moyens et avec moins de visibilité. Ce type de résistance de l’intérieur signale la fracture qui est en train de traverser le monde académique où le statut stable de fonctionnaire paraît être le dernier filet de sécurité psychique.

En pénalisant les femmes scientifiques au premier chef, cette situation les poussent à bricoler des solutions qui sont le terreau d’une division sexuée du travail plus marquée encore, profilant la formation en licence et le pilotage des masters assignés aux MCF femmes, et la recherche dans les laboratoires réservée aux hommes, MCF et professeurs d’université. Si certaines, ont déjà anticipé cette inégalité dans la carrière en renonçant à l’HDR pour se spécialiser dans la pédagogie, le repli fataliste est rejeté par d’autres. En administratrices sages et intelligentes de leur force de travail et de leur équilibre familial, celles-ci participent à l’émergence d’un mouvement contestataire qui prône le retour à la lenteur de la science et à la revendication d’un droit véritable au congé de maternité conforté par une priorité d’accès au congé pour recherche. Il s’agit bien sûr d’une position combative, difficile, mais qu’elles défendent pied à pied dans l’institution. En-dehors de ce schéma professionnel s’appliquant à la majorité, quelques rares cas de femmes, ayant réussi à accéder au grade de professeure et ensuite à des postes élevés dans la hiérarchie universitaire, jouent le jeu du nouveau management. Cette troisième voie évite le dilemme entre formation, recherche et administration, tout en permettant d’échapper au décrochage féminin et de contourner un douloureux remaniement identitaire.

L’opposition actuelle de la communauté scientifique (*) à la réforme des retraites[6] et au projet de loi LPPR[7] démontre l’ampleur des difficultés professionnelles qui traversent l’université. Les femmes se trouvent aux premières loges pour éprouver des menaces supplémentaires portant sur les statuts, les salaires et les droits à la retraite.

(*) http://www.sauvonsluniversite.com ; http://sauvonslarecherche.fr

Bibliographie

Azizi A. (2014), “Les obstacles institutionnels à la mobilité des enseignants-chercheurs : la question du genre”, dans Devineau Sophie avec Annoot Emmanuelle, Dezalay Thierry (dir.), Formation, qualification, éducation, emploi : la construction du genre, Rouen, PURH, 57-80.

Bouffartigue P., Pendariès J-R., Bouteiller J. (2010), “La perception des liens travail/santé. Le rôle des normes de genre et de profession”, Revue Française de Sociologie, 51-2. 247-280.

Durand J-P., Le Floch M-C. (dir.) (2006), La question du consentement au travail. De la servitude volontaire à l’implication contrainte, Paris, L’harmattan.

Gadéa C., Marry C. (2000), “Les pères qui gagnent. Descendance et réussite professionnelle”, Travail, Genre et Sociétés, 3. 49-64.

Guillaume C., Pochic S. (2007), “La fabrication organisationnelle des dirigeants. Un regard sur le plafond de verre”, Travail, Genre et sociétés, La Découverte. 79-103.

Héritier F. (1996), Masculin-féminin I. La pensée de la différence, Paris, O. Jacob.

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Maruani M. (2006), Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte.

Marry C. (2004), Les femmes ingénieurs. Une révolution respectueuse, Paris, Belin.

Méda D. (2001), Le Temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, Paris, Flammarion.

Molinier P. (2006), “Le care à l’épreuve du travail. Vulnérabilités croisées et savoir-faire discrets”, dans Paperman Patricia & Laugier Sandra (dir..), Le souci des autres. Éthique et politique du care, Raisons Pratiques, Paris, Editions de l’EHESS. 5-14.

Musselin C. (2008), Les universitaires, Paris, La Découverte.

Pfefferkorn R. (2012), Genre et rapports sociaux de sexe, Lausanne, Editions Page Deux, collection Empreinte.

Pinto J. (1990), “Une relation enchantée. La secrétaire et son patron”, Actes de la recherche en sciences sociales, 84. 32-48.

Sylvera R. (2002), Articuler vie familiale et vie professionnelle en Europe : un enjeu pour l’égalité, Paris, La Documentation française.

Encadré méthodologique

L’enquête par questionnaire a été conçue par le Snesup en collaboration avec des universitaires dont nous faisions partie dans l’objectif d’établir un état des conditions de travail déclarées par les syndiqué.es. L’échantillon des 1409 MCF tiré  de la population parente des 36 184 MCF présente les caractéristiques suivantes :

  • Plus de MCF ont répondu à l’enquête FSU que la moyenne nationale : 54% MCF contre 39% au niveau national.
  • Les femmes MCF ont, elles aussi, plus répondu : 53.3% contre 44% au niveau national.

L’impact statistique est limité puisque la représentativité de l’échantillon est peu en jeu dans une analyse centrée sur des différences significatives entre Hommes et femmes.

Du point de vue de la représentativité sociologique, l’impact d’une enquête sur les syndiqué.es au SneSup-FSU induit un biais lié à l’adhésion syndicale, mais il reste limité puisqu’il s’agit de données de fait et non d’opinion.

Au niveau national, en 2016, 37% des enseignants-chercheurs titulaires sont des femmes : elles sont plus nombreuses chez les enseignants du secondaires (46%) que chez les MCF (44%) et les PU (24%).

Age moyen des MCF = 45 ans et 7 mois. Le plus jeune MCF a 28 ans alors que le plus âgé à 70 ans.

Sources nationales :

L’enquête par entretiens a été réalisée entre 2016 et début 2017 sur un campus universitaire pluridisciplinaire selon la méthode dite « boule de neige ». Le public ciblé a été défini sur des critères de statut, de sexe et de situation familiale : des femmes MCF ayant des enfants à charge. Il s’adresse à des femmes dans l’objectif de recueillir les témoignages de la catégorie encore minoritaire dans cette profession et spécifiquement concernée par les retards de carrières ou par l’assignation aux tâches pédagogiques et aux responsabilités moins prestigieuses. L’attention portée aux femmes MCF ayant des enfants à charge cherche à isoler un aspect important des freins à la carrière, la maternité, et à décrire les stratégies concrètes qui leur permettent d’effectuer leur travail.

Pour des raisons déontologiques, les enquêteurs ne devaient pas avoir de liens amicaux ou professionnels avec les enquêtées et toutes les disciplines étaient concernées hormis la sociologie. L’échantillon inclut les deux grands domaines des sciences expérimentales et des lettres, sciences humaines et sociales et comporte 27 entretiens biographiques.

Les entretiens ont été recueillis de manière aléatoire à partir de listes professionnelles et au gré des accords des enquêtées. Ils satisfont aux critères de variété des disciplines universitaires et répondent aux objectifs d’un approfondissement dans une approche compréhensive.


[1] CHSCT : comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail. Il s’agit d’une instance consultative ayant pour objet de promouvoir l’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité au sein de l’établissement.

[2] ANR : l’Agence Nationale de la Recherche lance des appels à projets et sélectionne environ 15% des dossiers par an, un taux de succès jugé trop dissuasif par la conférence ATHENA de l’association Alliance du 23/10/2019 au Collège de France.

[3] Personnels administratifs des universités : Bibliothèque, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, de Services et de Santé.

[4] L’Etat de l’Enseignement supérieur et de la recherche en France, 49 indicateurs, avril 2017, n°10.

[5] La recherche au ralenti est un mouvement inspiré de la tendance “slow” dont l’objectif est de dénoncer les dérives et les effets néfastes de l’accélération productiviste de tous les aspects de la vie. Manifeste de la slow science, 2010.

[6] Projet de réforme du système des retraites, 2020.

[7] LPPR : Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, 2019

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