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Droit

Livreur auto-entrepreneur ou salarié ?

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6 mai 2020.

Par Hervé Tourniquet, Avocat au Barreau de Paris.

Lire notre avertissement : https://bit.ly/3a2fgEE

Je suis auto-entrepreneur et je travaille comme livreur à vélo avec une plateforme numérique à Paris. Au début de la crise sanitaire j’ai adressé un mail à la plateforme pour renseigner sur la prime que beaucoup d’entreprises ont versé à leurs salariés. J’ai donc demandé dans le mail s’ils ont pensé à nous mettre une prime vu les risques qu’on prend au travail et depuis ce temps là je ne suis pas payé. D’habitude on est payé chaque deux semaines. Chaque deux semaines ils nous envoient la facture et le virement avec, et depuis mon mail ils m’envoient que la facture mais pas le virement. Je leur ai adressé plusieurs mails pour réclamer mes virements mais rien. Ils me disent à chaque fois qu’ils vont traiter ma demande mais pas de suite après, là ça fait trois factures de suite qu’ils ne m’ont pas payé, je ne sais pas quoi faire, je me retrouve seul face à une plateforme numérique et je n’ai aucun pouvoir,

Votre question en soulève, en réalité, trois.

1/ En qualité d’auto-entrepreneur, pouvez-vous prétendre à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ?

La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat est prévue par la Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 (Article 7) modifiée par l’Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Cette loi ne crée aucune obligation à la charge des employeurs mais prévoit un dispositif d’exonérations sociale et fiscale supposées inciter à son versement.

Elle est réservée aux seuls salariés.

En qualité d’auto-entrepreneur vous ne pouvez dont pas en bénéficier.

2/ Que pouvez-vous faire face à une plateforme qui ne vous règle pas vos factures ?

Dans la mesure où il semble que vous avez déjà relancé la plateforme pour laquelle vous travaillez, sans résultat, l’étape suivant est l’envoi d’une lettre de mise en demeure qu’il convient d’envoyer en courrier recommandé avec accusé de réception afin de vous ménager un moyen de preuve.

Vous veillerez à ce que cette mise en demeure de régler vos factures rappelle les n° et date desdites factures, les dates de vos mails de relance et nous vous conseillons de joindre les copies des factures et des mails à cet envoi.

Vous y ferez part de votre volonté d’entreprendre une action en justice en cas de non-paiement de vos factures.

Si cette démarche ne produit aucun résultat et le montant total de vos factures n’excède pas 4000 €, vous pouvez engager une procédure de recouvrement simplifiée telle que prévue par l’article R 125-1 du code des procédures civiles d’exécution.

Pour mettre en œuvre cette procédure, il vous faut vous adresser à un huissier compétent dans le département du siège de la plateforme (apparemment, dans votre cas, un huissier parisien).

Mais une autre question se pose.

Les conditions dans lesquelles vous exercez votre activité pour le compte de cette plateforme sont elles compatibles avec le statut d’autoentrepreneur et ne font-elles pas plutôt de vous un salarié ?

3/ Les conditions dans lesquelles vous exercez votre activité sont-elles compatibles avec le statut d’auto-entrepreneur et ne vous confèrent-elles pas plutôt le statut de salarié ?

En effet, d’importantes décisions de justice sont intervenues au cours de ces derniers mois en cette matière.

Par un arrêt du 28 novembre 2018, dit arrêt « TAKE EAT EASY » du nom de la plateforme concernée, la Cour de cassation a jugé que devait être requalifié en contrat de travail la relation entre un livreur et la plateforme utilisant une application mettant en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas dès lors  que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier.

Lire la jurisprudence

Les juges faisaient ainsi prévaloir la réalité du pouvoir de direction exercé par la plateforme sur le coursier pour en déduire l’existence d’un contrat de travail.

Plus récemment, par un arrêt du 4 mars 2020, dit arrêt UBER, toujours du nom de la plateforme concernée, la même chambre sociale de la Cour de cassation a, en quelque sorte « enfoncé le clou » en retenant l’existence d’un contrat de travail entre un chauffeur et la société UBER dès lors :

  • Que ce chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, service qui n’existe que grâce à cette plate-forme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport,
  • que le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne suit pas cet itinéraire,
  • que la destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non,
  • que la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques », et déduit de l’ensemble de ces éléments l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements et que, dès lors, le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif. »

Lire la jurisprudence

Travailler au Futur a déjà évoqué ces deux décisions.

Si vous vous reconnaissez dans cette description, nous vous conseillons donc, avant tout envoi d’une mise en demeure ou tout engagement d’une procédure de recouvrement de vos factures, qui pourraient être interprétée comme une reconnaissance de votre part de la réalité de votre statut d’indépendant, nous vous conseillons donc de contacter au plus vite l’organisation syndicale de votre choix afin qu’elle vous aide à constituer votre dossier et vous oriente, le cas échéant, vers un avocat, afin de saisir le Conseil des Prud’hommes et faire reconnaître votre statut de salarié.

Cela ne vous permettra pas de percevoir une prime exceptionnelle d’activité que la plateforme pour laquelle vous travaillez n’a certainement pas envisagé de verser à ses salariés puisqu’elle considère n’avoir aucun salarié.

En revanche, la reconnaissance du statut de salarié permettra de requalifier en salaire les rémunérations que vous avez perçues jusqu’à ce jour, avec pour conséquence le bénéfice des droits individuels et collectifs reconnus aux salariés, comme la protection sociale et, dans votre cas, la possibilité de faire condamner votre employeur au paiement des salaires non versés.

Elle vous permettra aussi d’obtenir réparation de celui qui sera devenu votre employeur des conditions dangereuses dans lesquelles il vous a contraint à travailler.

Et puis, aussi, c’est important, vous ne serez plus seul face à la plateforme comme le chanteraient les supporters de LIVERPOOL…

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