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Travailler au futur
Par Jean Philippe Milesy.

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Quand les « paritaires » tiennent campus !

Par Jean Philippe Milesy.

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Le second « Campus des branches professionnelles » porté par les grandes institutions paritaires de prévoyance (IP) et organisé par l’Union OCIRP[1] s’est tenu à Avignon du 29 juin au 1er juillet. 

Son thème en était « Place au jeunes ! » nous y reviendrons.

Mais il est, en premier lieu, l’occasion d’une réflexion sur le paritarisme qu’il soit de négociation ou de gestion et plus largement la question de l’organisation du débat au sein des branches professionnelles tel qu’ils se sont développés en France, depuis 1919 et surtout aux lendemains de la Libération.

Denis Kessler, une des figures du patronat, peu avare en formules chocs, et de tous temps contempteur du paritarisme, avait un jour défini celui-ci comme étant « Nous (le patronat) et un traître ».

Pour sa part, en 2016, Jean-Charles Simon, qui sera deux ans après candidat à la présidence du MEDEF, faisait paraître dans le cadre du très représentatif Institut de l’Entreprise, un rapport, présenté à l’époque comme « explosif ». Préfacé par le Pdg du groupe Vinci il était intitulé « Pour en finir avec le paritarisme ».

Mais quelle vision peut bien en avoir aujourd’hui Elizabeth Borne, la Première ministre ? Et Olivier Dussopt qui a vu pompeusement ajouter à son titre de ministre du Travail et de l’Insertion le Plein emploi ?

En 2018, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, présentée alors comme « de gauche », avait ouvertement ignoré l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la formation qui avait été signé par l’ensemble des « partenaires sociaux » y compris la CGT. Elle décida de passer en force et d’en finir tant avec l’implication des Régions qu’avec la gestion paritaire de la collecte.

Non seulement le travail de négociation des partenaires sociaux se trouvait réduit à néant mais les branches professionnelles se trouvaient disqualifiées, avec notamment un discours constant pour dénoncer le coût de leur gestion paritaire (discours que l’on retrouve aujourd’hui pour incriminer l’ensemble des complémentaires-santé).

Or les lois fondatrices du droit à la formation qu’il s’agisse des textes élaborés par Jacques Delors pour Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou, dans le cadre de sa « nouvelle société », ou de la loi Rigout où le ministre communiste étendait la formation professionnelle, au-delà des branches, aux négociations d’entreprises, tous ces textes législatifs voulaient cette implication des branches professionnelles. C’est cette dernière qui fondait les Fonds d’assurance formation (FAF) puis en 1995 les Organismes paritaires de collecte agréés (OPCA).

Dans la mesure où ces lois imposaient aux syndicats patronaux et ouvriers la gestion du dispositif, c’est à dire des postes, des compétences, du temps, des contraintes, leur financement public était tout à fait dans l’ordre des choses. Il en sera de même à chaque fois que le pouvoir délèguera aux partenaires sociaux des fonctions nouvelles.

Par ailleurs si ce financement du paritarisme dans le champ de la formation professionnelle, de l’ordre de 60 millions, pouvait apparaître au petit contribuable, rapporté à ses revenus, élevé, il demeurait peu de chose au regard des milliards de la collecte, de la mise en œuvre des actions de formation et du travail des institutions.

On voit donc à travers cet exemple que les leçons qu’entendaient donner Denis Kessler et Jean-Charles Simon trouvaient à s’appliquer sous la direction de Muriel Pénicaud [2] et d’Emmanuel Macron dont elle mettait en œuvre fidèlement la politique libérale.

Il s’agissait tel le piquero dans le premier tercio de la corrida formelle de faire baisser la tête aux partenaires sociaux qui poursuivaient, malgré les crises, l’État-social hérité de la Libération ou de l’esprit de Philadelphie du nom de la conférence sur la démocratie sociale voulue par Franklin Delano Roosevelt[3].

Ce n’était pas la première tentative d’en finir avec cet état de chose.

Déjà Myriam El Komri avait apporté sa sape à l’édifice en mettant en cause la hiérarchie des normes et son corollaire le « principe de faveur ».

Ces deux principes sur lesquels était fondée jusque là la négociation sociale voulaient que la négociation nationale s’inscrive bien évidemment dans le cadre de la loi, que les conventions collectives intègrent les accords nationaux et que les accords d’entreprise intègrent les conventions de branches selon le principe dit « de faveur » qui voulait que toute nouvelle disposition dans cette enchaînement de textes ne pouvait qu’être plus favorable au salarié. Avec la loi dite « Travail » tout cet édifice juridique et politique était arasé.

On retrouve dans les nouvelles logiques, même si quelques formes tiennent toujours, la volonté d’un retour progressif aux grands textes libéraux dont la fameuse loi Le Chapelier qui au profit du libre contrat entre le patron (libre) et le travailleur (libre) délégitimait tout corps intermédiaire.

Et d’ailleurs cette « loi terrible » pour reprendre le mot de Jean Jaurès est explicitement et favorablement citée dans le rapport de Jean Charles Simon.

Dans ces conditions des réunions telles, le « Campus des branches »  associant patrons et syndicalistes autour de sociologues et économistes, spécialistes du sujet qui y est abordé, peuvent apparaître comme des actes de résistance.

Du moins sont-ils l’affirmation d’une volonté commune de débattre, de faire vivre les corps intermédiaires paradoxalement malmenés, voire menacés par un pouvoir se revendiquant porté par la « société civile ».

Que l’on parle de  « partenaires sociaux » ou selon le mot utilisé par Jean-Claude Mailly, quand il était secrétaire générale de la CGT-FO, d’« interlocuteurs sociaux » pour éloigner tout idée de connivence, les organisations patronales, les syndicats ouvriers (ou « de salariés » si le mot ouvrier écorche quelques oreilles) demeurent, bien qu’on affirme à l’envi leur quasi-disparition, les forces les plus structurées de la société civile. Si Marc Blondel, le prédécesseur de Jean-Claude Mailly à FO, récusait volontiers ce dernier terme, il y voyait un amalgame avec des œuvres religieuses ou philanthropiques, du moins défendait-il avec force le syndicalisme et le paritarisme.

Si les syndicats sont faibles numériquement, notamment du fait de leur dispersion, les élections professionnelles sont souvent plus mobilisatrices que les scrutins politiques.

Presque toutes les composantes de ce monde syndical étaient présentes aux travaux de ce « Campus des Branches ».

Presque…

L’UNSA qui ne fait pas partie de la « bande des cinq » (CFDT-CFE/CGC-CFTC, CGT et CGT), confortée par une loi de 2008, dont l’opportunité est souvent contestée, avait vu deux de ses secrétaires–généraux adjoints conviés même si ils ne participaient pas aux tables-rondes. SUD-Solidaires et la FSU, malgré la confédéralisation progressive de cette dernière, n’avaient, visiblement, pas été invités, mais ils montrent le plus souvent des réticences à s’inscrire dans les processus collectifs.

Quant à la CGT, si des militants impliqués dans leurs branches étaient présents, elle laissa vide la place qui lui était réservée lors du débat final sur « Le modèle paritaire, quels atouts, quelles perspectives ? ».

Pourtant dans son intervention la représentante du MEDEF avait souligné que si la CGT ne signait pas tous les accords, du moins elle se félicitait de la participation active de cette dernière aux travaux et discussions préparatoires. Par ailleurs les militants de la CGT demeurent impliqués dans la vie de la plupart des Institutions de Prévoyances (IP) qui portaient le « Campus ».

Malgré cela globalement les travaux montraient l’attachement de toutes et tous aux branches professionnelles, à leurs négociations collectives.

Le thème du Campus « Place aux jeunes ! » était porteur. On sait les problèmes éducatifs, d’emploi, mais aussi les problèmes personnels, très au-delà des états-d’âme, d’une jeunesse inquiète, hésitante entre abattement et repli d’une part, généreux engagement d’autre part comme on l’a constaté avec la récente crise sanitaire ou autour des thèmes du changement climatique. Comme tous les participants, dans leurs pratiques quotidienne d’employeurs ou de syndicalistes, l’ont souligné : pour les jeunes, les questions de l’emploi et du rapport au travail sont centrales bien plus qu’une crise existentielle

Monique Dagnaud, Stewart Chau auteur avec Frédéric Dabi de « La Fracture »[4],  Arnaud Zegierman[5], tous sociologues ou Nathalie Chusseau, économiste présentèrent des communications sur lesquelles s’appuyaient les débats et leurs participants.

Les « décrochés » – et non les « décrocheurs » comme trop souvent entendu, car il ne sont pas les acteurs mais les victimes du décrochage- sont encore nombreux. On parle désormais de « Neets » pour « ni en emploi, ni en études, ni en formation ». Mais la situation de nombreux jeunes hors ces catégories, qui même si elles sont nombreuses demeurent marginales, est aussi difficile.

Une très large part des emplois nouveaux des services sont souvent « ubérisés » et sont des emplois de bas niveau de qualification.

Favorisés par la crise sanitaire, boostés par le développement de sociétés telles Amazon, les services de livraison à domicile se développer considérablement.

Si tout le monde se félicite du taux d’emploi des jeunes diplômés, la question de la déqualification des emplois qui leur sont proposés se pose de plus en plus. Si des bac+3, voire 4 ou 5, occupent des emplois autrefois réservés à de simples bacheliers, voire à des titulaires du brevet, ces derniers sont à la rue !

Et bien de ces jeunes diplômés en emploi connaissent les affres d’un déclassement ! C’est un sujet qu’aborde Monique Dagnaud dans son ouvrage « Génération surdiplômée[6] » qui aborde les « 20% qui transforment la France » mais qui s’interroge aussi sur les autres 80%.

La question est d’autant plus prégnante qu’apparaît aux yeux de nombre de spécialistes et de syndicalistes la constitution d’un « prolétariat numérique » loin des rêves que portaient les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ou encore les tenants de la « Start-up nation ».

Par ailleurs l’accélération des progrès technologiques conduit à une obsolescence rapide des jeunes « technologues » qui le plus souvent, sans pratiques ni garanties collectives sont vite remplacés.

Si l’apprentissage, lui aussi promu à grand renfort de communication par le pouvoir, occupa une place importante dans les échanges du Campus, de récentes études montre qu’il connaît au-delà des succès revendiqués 40% d’abandon dont certains il est vrai, mais loin d’être le plus grand nombre, sont justifiés, par une entrée anticipée en emploi !

Malgré la convivialité de la manifestation, les temps ne paraissaient pas à l’optimisme.

Par ailleurs, malgré l’injonction que représentait le titre du Campus, il est à regretter  que les jeunes, objets de toutes les attentions des participants, n’aient pas été présents aux débats si ce n’est à travers une vidéo où étaient interrogés des jeunes d’un CFA avignonnais. Outre les organisations étudiantes comme la FAGE ou l’UNEF, ou lycéennes, on voit des collectifs de jeunes « ubérisés » s’organiser en collectifs voire en coopérative dont le témoignage aurait pu être un apport important au débats.

Notons en revanche l’invitation à la table ronde conclusive faite à l’UDES, organisation majoritaire des employeurs de l’ESS mais demeurant marginalisée, « latéralisée » fut-il pudiquement admis, dans la plupart des dispositifs collectifs. Mais, malgré les efforts de l’UDES pour sa reconnaissance, certains responsables du MEDEF demeurent fidèles à leur appréciation première : dans un texte de mai 2002, l’organisation patronale évoquait pour lui dénier toute légitimité « l’économie dite sociale » et la tenir à l’écart.

Comme en musique de fond durant tous les travaux, on retrouvait les questions posées par la nouvelle organisation de la formation professionnelle que nous évoquions plus haut.

Le Compte personnel de formation (CPF), présenté par ses promoteurs  comme l’idéal en matière d’individualisation des droits, a ouvert en fait un très large marché de formations dérisoires ou jusque là prise en charge par la personne (comme le permis de conduire). Ainsi il perd de plus en plus son caractère de dispositif de formation et intègre la litanie des aides au pouvoir d’achat.

Avec cette « individualisation » nous demeurons dans le débat sur les branches. Auparavant comme nous le soulignions la formation professionnelle était un droit de la personne assumé collectivement, objet de négociations collectives (branches, entreprises…) et de financements mutualisés. C’était le cas du Congé individuel de formation (CIF) qui à partir d’un projet professionnel personnel permettait de réelles reconversions et qui était géré, dans la mesure de leurs moyens par les OPACIF de branches.

On assiste à la dégradation qui existe quand on passe d’un droit personnel garanti collectivement, à un individu invité à gérer son maigre pécule ; même s’il peut le faire à partir de son smartphone sur lequel il reçoit en continue des sollicitations publicitaires pour des formations objets de dumping financier.

CQFD quant à la pertinence des approches collectives associant l’ensemble des partenaires. Quand les procédures collectives sont mises en cause, plus les syndicats le sont, la spirale est dangereuse vers cette dégradation des droits et des situations.

Pour en revenir à la définition qu’en donnait Denis Kessler, celle de « Nous et un traître », on peut aussi poser la question d’un paritarisme sous l’angle d’un ensemble de dispositifs faussés par le financement et les rapports de force.

Mais comme l’écrivait Kipling « ceci est une autre histoire ». En lieu celle des rapports de force actuels et celle du financement d’un syndicalisme affaiblie par une perte d’effectifs et d’influence. Cette situation est certes favorisée par l’attitude d’un certain patronat, pour qui Matignon, Grenelle sont des références abominables, mais plus encore les politiques successives cherchant à les marginaliser, faisant le lit d’un l’individualisme libéral dont la promotion est largement faite par les grands media aux mains des puissances financières.


[1] Présidé par Liliane Bourrel (FO) avec pour vice-président Pierre Mie (Malakoff-Humanis), dirigé par Marie-Anne Montchamp et animé notamment par Jean-Manuel Kupiec, l’Ocirp est une Union regroupant en son sein l’essentiel des Institutions de Prévoyance autour du veuvage, du handicap et de la perte d’autonomie.

[2] Remplacée dans le gouvernement Castex par… Élisabeth Borne, Muriel Pénicaud fut présentée par Emmanuel Macron comme directrice générale de l’OIT, haut lieu de la négociation entre les acteurs du travail. Elle fut sèchement battue.

[3] On lira bien évidemment le travail d’Alain Supiot sur le sujet aux éditions du Seuil, 2010

[4] Aux éditions « Les Arènes », 2021

[5] Il est l’auteur avec Thierry Keller d’un essai « Entre déclin et grandeur :

regards des Français sur leur pays » aux éditions de l’Aube, 2021

[6] Avec Jean Claude Cassely, aux éditions Odile Jacob, 2021

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