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Travail et plateformes numériques

Recension du rapport de l’OIT : « Les plateformes numériques et le monde du travail dans les pays du G20 : Statuts et actions politiques. ». Par Jennifer Clerté et Marc Malenfer (INRS).

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Ce Rapport de l’OIT rédigé à l’attention du groupe de travail « Emploi » de la présidence italienne du G20 et paru en juin dernier brosse un portrait précis et détaillé des plateformes et de leurs travailleurs sur la base de données actualisées. Les informations qu’il apporte sont d’autant plus précieuses que les données concernant ce type d’entreprises et d’emplois sont peu nombreuses, éparses et variables à la fois géographiquement mais aussi selon le type de plateformes étudiées.

Le rapport s’attache tout d’abord à établir le portrait des plateformes et de leur modèle économique. L’OIT distingue trois types de plateformes selon leur activité :

– Services en ligne aux particuliers (réseaux sociaux)

– Services de médiation de biens et services (ecommerce, btob, services financiers)

– Services d’intermédiation de main d’œuvre (ex : Uber ou Upwork)

Les deux dernières catégories se subdivisent en deux sous catégories : Les plateformes offrant un service intégralement digitalisé (le service est assuré en ligne par le travailleur) et celles offrant un service localisé (le service est effectué dans un lieu géographique spécifique ; comme les services de taxi, livraison ou les services à la personne).

Entre 2010 et 2020, le nombre de plateformes a quintuplé, passant de 128 à 611 dans les pays du G20. On en compte 251 dans les services digitalisés et 357 dans les services localisés (281 pour les services de livraison et 76 plateformes de VTC). La plupart de ces entreprises s’apparentent à des TPE, comptant moins de 10 employés. Quelques rares grands groupes de livraison ou de VTC comptabilisent plus de 1000 salariés. Cependant, deux types de travailleurs dépendent de ces entreprises : les travailleurs salariés et ceux dont le travail est intermédié par les plateformes. Si l’effectif des salariés est identifiable sur le site ou dans le rapport annuel de l’entreprise, l’effectif des seconds n’est pas connu. Les études conduites entre 2015 et 2019 tentant d’estimer la part de la population adulte ayant déjà travaillé pour une plateforme, donnent des estimations très variables allant de 0,3% à 22% selon les pays.

Concernant leur financement, l’OIT rappelle que ce modèle d’entreprises est étroitement lié aux fonds de capital-risque, qui ont continué d’y investir alors même que certaines restaient déficitaires ; et s’inquiète du fait que la surenchère d’investissements dans un modèle qui fonctionne à perte conduise à fausser le principe de compétition, ayant ainsi à terme des effets délétères sur les secteurs de l’économie traditionnelle. La vigilance est d’autant plus de rigueur que ce nouveau modèle vient transformer le monde du travail en instaurant une nouvelle forme de management par les algorithmes qui se diffuse progressivement aux entreprises traditionnelles. Il modifie aussi l’organisation du travail dans sa globalité en reportant les coûts d’investissement dans les équipements de travail sur les travailleurs et en accentuant la polarisation du marché du travail entre salariés et indépendants.

Le rapport propose ensuite un portrait des travailleurs de plateformes et de leurs conditions de travail sur la base d’une enquête conduite entre 2017 et 2020 auprès de 12000 travailleurs issus de 100 pays, dont 6680 travaillant dans les pays du G20. Leur profil varie selon qu’il s’agit de travailleurs de plateformes de services en ligne ou de services localisés, les seconds étant généralement plus jeunes (35 ans dans les services en ligne contre 29 dans les services localisés), plus souvent immigrés et moins diplômés et ayant de ce fait plus de difficultés d’accès à l’emploi. Leurs conditions de travail varient aussi selon le type de services, mais dans l’ensemble l’OIT rapporte un temps de travail élevé (70h par semaine dans les services localisés) pour un revenu faible (entre 1.10 $ et 5.30$ de l’heure), une forte irrégularité du travail et un accès limité aux protections sociales de tout type (l’assurance santé étant généralement acquise par le biais d’un second travail salarié ou via le conjoint). Le management algorithmique apparaît enfin comme un facteur d’aliénation du travailleur du fait du système de notation et de contrôle qu’il implique, niant ainsi le principal avantage d’autonomie que ce type d’emploi est censé offrir. Les travailleurs bénéficient enfin de peu de moyen de défense de leurs intérêts. Ils n’ont presqu’aucun recours en cas de désactivation de compte, n’ont pas accès aux processus de négociation collective (réservés aux salariés) et des difficultés à s’organiser en syndicats (Du fait de leur dispersion géographique).

L’OIT précise, pour conclure, les actions politiques conduites ces dernières années dans l’objectif d’améliorer les conditions de travail de ces indépendants. Elles ont principalement consisté à :

– requalifier les indépendants comme salariés sur la base du niveau de contrôle exercé par les plateformes (Espagne) ou à créer un statut intermédiaire pour leur ouvrir les droits à la protection sociale (Royaume-Uni).

– réformer les régimes de sécurité sociale pour en ouvrir les droits aux travailleurs indépendants,

– étendre la réglementation en terme de santé et sécurité au travail à tous les travailleurs,

– remettre en cause juridiquement les clauses d’arbitrage de certaines plateformes,

– reconnaître aux travailleurs le droit d’accéder aux données personnelles utilisées par les plateformes.

Les consultations initiées par le Sénat en France et par la Commission Européenne trouveront certainement dans ce rapport des éléments pour initier les projets de réglementation auxquels elles sont supposées aboutir. Parviendront-elles pour autant à ramener les conditions de travail au centre des préoccupations d’entreprises dont le modèle économique – qui n’a toujours pas fait ses preuves – se base essentiellement sur une externalisation de la main d’œuvre tout en en gardant le contrôle… rien n’est moins sûr.

Photo Clément Savel.

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