On a pu lire, parmi les nombreux récits collectés par la Compagnie Pourquoi se lever le matin, qu’un des effets du travail à domicile imposé par la crise sanitaire avait été de permettre un renouvellement du regard que chacun porte soudainement sur sa vie privée à partir du point de vue de sa sphère professionnelle, et sur son travail à partir de son point de vue de membre d’une cellule familiale. Cela a été l’occasion, tout autant, d’une déstabilisation par rapport aux cadres spatio-temporels établis jusqu’alors: « Avec le confinement, le télétravail est devenu synonyme d’enfermement dans un seul lieu. » (Yannick, chercheur en sciences sociales), que d’un recentrage sur la chaleur régénératrice du foyer : « Le côté agréable pour nous, fut de se retrouver pour le déjeuner. On ne fait jamais ça. C’était le petit plus. »
Dans la plupart des cas, l’angoisse de ne pouvoir faire face aux contraintes liées à une nouvelle situation a fait place à l’excitation d’avoir à redécouvrir des rythmes de vie oubliés, et de repenser son travail dans ses procédures et dans ses finalités. En bref : inventer un nouveau rapport à la vie sociale, au travail et au collectif de travail pour y insuffler quelque chose qui, justement en période de confinement, relève du vivre ensemble : « Nous l’avons expérimenté, le télétravail est possible. Bien sûr, les fiches de poste doivent évoluer, mais cela conduit aussi à réfléchir aux raisons d’être ensemble » (Corine, directrice de Centre Associatif)
On a alors vu qu’être isolé de ses partenaires professionnels rendait plus cruciale la nécessité d’établir une vraie communication : « Pour l’avenir, si on travaille beaucoup à distance, il faudra que les gens prennent de nouvelles habitudes pour provoquer la “rencontre à distance”, instaurer de nouveaux rituels » (Bruno, responsable d’audit dans le secteur financier).
Parfois, la séparation dans l’espace a même renforcé ou fait apparaître une cohésion dont on avait plus ou moins perdu la trace : « Ceci a permis de montrer aux élèves, pendant cette période particulière, la cohésion qui existe entre les professeurs qu’ils voient habituellement se croiser dans les couloirs. » (Sophie, enseignante en collège).
Bien des managers ont compris qu’ils devaient soigneusement gérer la communication pour que chaque salarié ait accès à la parole : « J’essaie par exemple d’apporter aux animateurs de réunions des méthodes ludiques qui permettent à chacun de s’exprimer par l’interface des écrans » (Pascale, coach et facilitatrice en intelligence collective). Mais tous savent bien qu’ils ne sont pas à l’initiative de ce nouveau climat de travail : « Ce qui est sûr, c’est qu’il va falloir compter avec l’autonomie dont ont fait preuve les salariés pendant la crise et se baser davantage sur la confiance. » (Bruno, responsable d’audit dans le secteur financier). De retour de confinement, les salariés qui n’ont pas joué le jeu du collectif paient le prix fort : « J’ai, quand même, une collaboratrice dont je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux mois[…] Elle s’est crue en free- lance. Elle a révélé le profil d’une personne à qui on n’a rien à apprendre, mais qui fait des bourdes. Elle ne va pas rester avec nous » (Véronique, responsable d’un service de gestion des payes en sous-traitance). À moins que certains managers ne soient simplement tentés de « reprendre les choses en mains » et de remettre les salariés « au travail » comme s’ils rentraient d’une trop longue récréation…
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